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Kaufmann

  • Spectacle permanent

    « Or l’essentiel de la vie des sacs se déroule dans d’autres contextes. Dans l’éclat des apparences, le plaisir des mises en scène, l’art quotidien de la silhouette. L’âme des sacs est le plus souvent colorée et joyeuse ; les sacs sont un spectacle permanent. » 

    Jean-Claude Kaufmann, Le sac

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    Ammi Philips (1788-1865)
    Portrait de Harriet Leavens

     

     

     

  • Leurs sacs et elles

    Léger ou pesant, le sac que la plupart des femmes et quelques hommes trimbalent avec eux où qu’ils aillent est pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann « un formidable laboratoire ambulant ». Malgré son sous-titre ridicule (Un petit monde d’amour), Le sac (2011) allait-il m’apprendre quelque chose sur cet accessoire dont le choix n’est pas si simple ? 

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    Allons-y pour « faire parler les sacs ». Le sociologue a enquêté dix-huit mois sur le sujet, et son essai se nourrit largement des témoignages récoltés via Psychologies magazine, « 75 récits de sacs ». Les hommes le ressentent comme un territoire interdit, la plupart des femmes en font leur domaine intime, personnel, inviolable. 
     

    Ce « compagnon des temps creux » abrite en plus du portefeuille toutes sortes de choses, des papiers avec des listes, des carnets, mais aussi des grigris, des porte-bonheur, un livre, des cailloux même, voire des chaussures de rechange. Pourquoi transporter tant de choses avec soi ? « Les femmes sont des êtres relationnels » beaucoup plus que les hommes, elles ont dans leur sac de quoi aider, soigner, réparer, recoudre, elles portent pour elles mais aussi pour les autres.
     

    Que met-on dans son sac ? Qu’est-ce qui se cache dans leurs profondeurs ? Pourquoi n’y retrouve-t-on pas tout de suite son téléphone, ses clés, souvent repérés au toucher ? Pourquoi si peu de poches dans les sacs – même si les fabricants commencent à répondre à cette demande d’organisation ? Kaufmann convient que la majorité se situe entre les « ultra-maniaques » et les « ultra-bordéliques ». Les femmes qui lui ont écrit classent elles-mêmes le contenu de leur sac à main en choses essentielles et optionnelles, permanentes ou occasionnelles.
     

    « Le style n’est pas qu’affaire de style. Il est aussi affaire d’identité. » On porterait un sac à son image. Acheté en vacances, il rappelle le plaisir d’une évasion, de bons moments. La mode, bien sûr, encourage la recherche de la distinction (ou du conformisme) – le sac, enjeu commercial et guerre des marques, entre dans le jeu social. Comment le porter ? Le sac à l’épaule lancé par Coco Chanel en 1929, plus pratique, est devenu l’usage ordinaire, mais pour l’élégance il se porte au creux du coude ou sur le poignet relevé.

     

    Le sac se ferme, il s’ouvre, il dissimule. « Petite maison portative », il peut contenir de quoi boire, de quoi manger, de quoi écrire… « au cas où ». Pourquoi s’infliger une telle charge ? Au nom de l’égalité entre hommes et femmes, certaines se proclament « anti-sac » et s’en passent, d’autres optent pour le sac à dos qui laisse les mains libres. Si certaines se réjouissent de partir se promener sans sac, allégées, d’autres éprouvent comme un sentiment d’amputation en l’absence de leur sac à main.
     

    Besace, sacoche, pochette, « le sac fait la femme », ose Kaufmann. Son format change avec l’âge : le sac léger de jeune fille s’alourdit avec le temps, et plus tard, à l’approche de la soixantaine, s’allège à nouveau. Les vieilles femmes, dans leur résidence pour personnes âgées, s’accrochent avec dignité à ce sac devenu poids plume, « le dernier visage de leur identité ».
     

    Les hommes à sacs sont plus rares, parfois efféminés, souvent à la recherche du fonctionnel. Le sac à dos ou le sac de sport, dont le format tend actuellement à se réduire, amorce-t-il un changement, une appropriation du sac par la gent masculine friande d'accessoires technologiques ?
     

    L’essai de Jean-Claude Kaufmann (un homme à cartable) est bourré d’anecdotes, de témoignages, il se lit comme un magazine, avec son lot d’informations, d’amusements et de niaiseries. Pris la main dans le sac par quelques blogueuses, le sociologue de la vie quotidienne veut montrer la complexité d’un sujet qui est à la fois « dehors » et « dedans ». Rien de neuf, il me semble, pour qui a une longue expérience des sacs. Mais admettons tout de même qu’à lire les vicissitudes de cet objet quasi obligé de la féminité, nous nous interrogeons quelquefois, sur les autres et sur nous-mêmes, en toute légèreté.

     

  • Le Monde des Livres

    A qui veut suivre l’actualité littéraire, Le Monde des Livres (supplément du Monde du jeudi en France, du vendredi en Belgique) est indispensable. Celui du 23 mai 2008 était consacré aux Assises internationales du roman qui se tiennent actuellement à Lyon (Villa Gillet), sur le thème « Le roman, quelle invention ! »

    On y apprend qu’un livre vendu sur quatre est un roman – 93,6 millions d’exemplaires vendus en 2006 - et que le chiffre d’affaires de l’édition française a connu en 2007 une croissance de 1,7  %, avec une forte hausse des essais et des documents. Pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann, à notre époque marquée par « un questionnement sans fin », « il n’y a rien de mieux que de voir d’autres êtres en situation, de pouvoir éventuellement s’identifier à eux, à travers des histoires vraies, des témoignages ou des fictions. » Dans un entretien, il décrit la lecture comme « un acte strictement individuel, mais par lequel on entre en relation avec d’autres fragments d’humanité. »

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    L’écrivain irlandais Joseph O’Connor propose une réflexion sur « Les territoires du roman ». Contrairement au roman traditionnel, dont la chronologie épouse une certaine vision du monde, le roman depuis Joyce et Woolf (j’ajouterai Proust pour le roman français, j’y reviendrai une autre fois) restitue mieux la complexité de la vie : « Nous avançons en transportant avec nous le passé et l’avenir. Nous traînons des ancres qui sont attachées à nous – parfois même nous nous y agrippons. (…) L’essence de l’être humain consiste à faire ainsi l’expérience du temps. » A propos des grandes œuvres, O’Connor aime « qu’un roman donne le sentiment qu’on peut y pénétrer, regarder alentour, toucher les murs, à la manière dont nous entrons dans un grand morceau de musique, comme le Messie de Haendel, ou Satyagraha de Philip Glass. Ce sont là des structures que nous avons envie de retrouver : une seule visite ne suffit pas. » Pour les lecteurs, « Connaître, brièvement, la transcendance du moi, imaginer, brièvement, ce que c’est qu’être un autre, c’est apprendre à connaître de façon plus approfondie ce qu’on est soi-même. »

    Je ne vais pas commenter tous les articles de ce supplément riche en contributions d’écrivains français et étrangers. Jean-Bertrand Pontalis, écrivain, psychanalyste et éditeur, revient sur la question des commencements – « On a beau ne jamais trouver, on ne peut pas se passer de chercher les origines » - et Hélène Cixous, inconsolable du fils qu’elle a perdu, en fait le secret du Livre-qu’elle-n’écrira-pas. Rachid El-Daïf, né au Liban, confronte les valeurs modernes et les valeurs traditionnelles, Occident et Orient : « L’image qu’on a de la femme arabe, dans les pays arabes mêmes, ainsi que dans les pays occidentaux, devrait absolument être remise en question. Je veux dire l’image de la femme soumise et acculée au mutisme. »

    Enfin, la romancière Ludmila Oulitskaïa, dans une réflexion sur l’amour des autres et l’amour de soi, s’interroge sur la frontière entre l’instinct de conservation et la complaisance envers soi-même, nous apprenant que le russe traduit « égoïsme » par « amour-propre ». Ironisant sur le « happy end » qui s’impose au XXe siècle à la fin des romans d’amour, elle rappelle qu’au XIXe siècle, ceux-ci se terminaient généralement par la mort d’un personnage, le plus souvent féminin. « Et c’est inéluctable : si l’on n’appose pas le point final à temps et que l’on donne aux amants une longue vie conjugale, qui peut garantir que Béatrice, ayant acquis l’expérience de la vie au fil des années, ne va pas tromper son époux avec un palefrenier, que Juliette ne va pas se métamorphoser en une matrone autoritaire harcelant son mari avec sa jalousie et ses soupçons, et qu’Anna Karenine, une fois remariée, ne va pas devenir toxicomane en voyant s’éteindre tout intérêt sexuel chez un mari passionné exclusivement par les chevaux ? » Dans le monde du roman comme dans la vie, on peut sourire.