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numérique - Page 2

  • Art Nouveau européen

    Peut-être recevez-vous comme moi, de temps à autre, un courriel émanant des Collections Europeana ? On s’y inscrit en ligne. Cette bibliothèque numérique européenne, lancée en novembre 2008, a pour vocation de faire découvrir ou redécouvrir l’héritage culturel européen : pas moins de « 54.227.288 œuvres d’art, objets, livres, vidéos et sons de toute l’Europe » ! Les courriels d’Europeana arrivent à présent dans la langue de son choix et à l’entrée du site, on peut choisir entre 23 langues pour la présentation, bien que l’usage de l’anglais reste prédominant. Le blog Europeana, muni dun traducteur, permet den suivre lactualité.

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    http://www.europeana.eu/portal/fr

    En plus de ses collections (art, mode, musique), Europeana présente des expositions thématiques. L’Art nouveau, déjà évoqué antérieurement, est le thème de la dernière exposition mise en ligne, avec de belles illustrations. Je vous propose d’y faire un tour. La fameuse ligne coup de fouet de Victor Horta introduit « Art nouveau – Un style universel », un parcours sur ce courant esthétique qui porte beaucoup d’autres noms comme « Jugendstil, Modernisme, Szecesszió, Style Liberty, Skønvirke ».

    Les origines de l’art nouveau remontent au mouvement Arts & Crafts en Angleterre durant la seconde moitié du XIXe siècle, avec William Morris. L’expression « art nouveau » apparaît pour la première fois dans la revue belge L’Art moderne, en 1884, pour caractériser certains artistes du groupe des XX. L’art nouveau prône l’unité de tous les arts, sans hiérarchie entre les beaux-arts (peinture et sculpture) et les arts décoratifs, entre les artistes et les artisans. Leur but : créer des objets beaux et fonctionnels à la fois.

    D’abord associé au luxe, l’art nouveau connaît rapidement un succès commercial en Europe par le biais des affiches, des expositions universelles, et de certains commerces qui s’adressent à la classe moyenne comme Liberty & Co, d’où le « style Liberty ». Arthur Liberty est l’un des premiers à surfer sur la vague du japonisme, stimulée par le succès des « Ukiyo-e ». Siegfried Bing, éditeur du mensuel Le Japon artistique, ouvre en 1895 sa galerie L’art nouveau à Paris. C’est dans la capitale française que l’Exposition universelle de 1900 « marque le point culminant de l’art nouveau » – ce qu’illustrent des séquences filmées d’époque.

    « Inspiré par la nature », troisième volet, présente les formes florales et organiques recréées par les maîtres verriers, les illustrateurs de livres, les créateurs de bijoux… Je ne connaissais pas les noms d’Eugène Grasset (1845-1917) et de son élève Maurice Pillard Verneuil (1869-1942) dont les dessins botaniques ont été transposés dans le Jugendstil. Papillons, libellules, paons, cygnes, toute une faune décorative prend place sur les vitraux, les vases et autres objets art nouveau.

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    Salon des Cent. Exposition d'une partie de l'oeuvre de E. Grasset : [2ème exposition], 1894

    Des fleurs entourent de jeunes femmes idéalisées – femmes-fleurs ou femmes fatales : le quatrième volet illustre l’omniprésence du motif féminin dans l’art nouveau, et en particulier dans la publicité. Chevelures végétales, corps nus, sensualité, ce sera un leitmotiv dans l’œuvre de Mucha. Certaines vedettes sont inséparables de ce courant : Sarah Bernhardt, représentée par Mucha en princesse byzantine dans Gismonda ; Jane Avril, la danseuse de cabaret peinte par Toulouse-Lautrec ; Loïe Fuller et ses voiles tourbillonnants aux Folies-Bergère.

    Sous l’influence des créateurs art nouveau, la tenue féminine évolue : les tissus des robes se font plus légers, voire vaporeux, les motifs et les tons se modernisent, on fabrique pour les femmes des vêtements plus pratiques pour les loisirs et le sport. A l’opposé de ce que représente la femme, incarnation du bien ou du mal, dans les œuvres de certains poètes ou peintres mystiques, et aussi dans les œuvres graphiques : ex-libris, affiches, couvertures de revues…

    « Architectures et intérieurs » forment le volet suivant de cette exposition. Guimard à Paris, Mackintosh à Glasgow, Hoffmann à Bruxelles pour le Palais Stoclet (voyez la superbe fresque de Klimt) et bien sûr Horta, Gaudí à Barcelone. Pour terminer le parcours, on présente quelques chefs-d’œuvre des arts décoratifs signés Tiffany, Gallé, Lalique. Les connaisseurs jugeront sans doute cette « exposition » très générale, mais pour qui souhaite aller plus loin, les ressources d’Europeana passant par un grand nombre de musées et institutions d’Europe, une série de liens en rapport avec l’art nouveau permettent de prolonger la découverte.

    Le plus formidable apport des Collections Europeana, à mon avis, c’est d’offrir à qui s’intéresse à tel ou tel sujet un nombre impressionnant de documents divers. Une recherche sur « art nouveau » mène, par exemple, à 51.931 images, 25 textes et 8 vidéos. Une des manières les plus originales de « parcourir » ces collections au hasard est de choisir une couleur : le turquoise, figurez-vous, mène à Alfred Hitchcock !

  • Livres

    « Ceux qui lisent, ceux qui nous parlent de ce qu’ils lisent,

    Ceux qui tournent les pages bruissantes de leurs livres,

    Ceux qui ont le pouvoir sur l’encre rouge et noire, et sur les images,

    Ceux-là nous dirigent, nous guident, nous montrent le chemin. »

    Codex Borbonicus sur Wikimedia commons.jpg

    Codex aztèque de 1524 (Archives du Vatican)

    cité par A. Manguel, La bibliothèque, la nuit

  • Fou de bibliothèque

    « Une pièce lambrissée de bois sombre, avec de douces flaques de lumière et des fauteuils confortables, et un espace adjacent, plus petit, dans lequel j’installerais ma table de travail et mes ouvrages de référence. » Le rêve d’Alberto Manguel, l’auteur d’une passionnante Histoire de la lecture (1998), a pris forme dans la grange d’un presbytère au sud de la Loire, dont il aperçoit pour la première fois le mur de pierre en l’an 2000, et où il décide d’enfin construire la pièce idéale où réunir tous ses livres. Dans son avant-propos à La bibliothèque, la nuit (2006), il avoue ce désir de jeunesse, devenir bibliothécaire, réalisé à l’âge de cinquante-six ans, « l’âge auquel on peut dire que commence la vraie vie », précise-t-il en citant L’Idiot de Dostoïevski.

     

    Le jour, par les fenêtres, il peut voir des poules « courir d’un côté à l’autre de leur enclos en picorant ici et là, affolées par la prodigalité de l’offre, tels des savants fous dans une bibliothèque ». « Mais la nuit, quand les lampes sont allumées dans la bibliothèque, le monde extérieur disparaît et rien n’existe plus que cet espace rempli de livres. » Plutôt qu’un phare, sa bibliothèque est une sorte de « grand vaisseau » éclairé dans l’obscurité. Virginia Woolf a distingué un jour l’homme qui aime s’instruire de celui qui aime lire, et conclu qu’il n’y a « aucun rapport entre les deux ». Et Manguel de dissocier ses lectures du jour, pleines de concentration, systématiques, et la lecture nocturne « avec une légèreté de cœur qui frise l’insouciance. »

     

    Bibliothèque de bois (vue dans une vitrine lyonnaise).jpg

     

    Comme Une histoire de la lecture, La bibliothèque, la nuit est illustrée de photographies en noir et blanc des lieux et des choses dont il parle, par exemple cet escabeau muni en haut des marches d’un siège et d’un lutrin. Mais ce fou de bibliothèque qu’est Manguel nous fait voir, nous fait sentir avec des mots sa passion pour tout ce qui relève de l’univers des livres, dont la bibliothèque incarne l’ambition d’universalité. A l’origine, il y a deux symboles : la tour de Babel, dans l’espace ; la bibliothèque d’Alexandrie, dans le temps. Le lecteur existe, écrit Manguel, pour assurer à un livre une modeste immortalité. « La lecture est, en ce sens, un rituel de renaissance. »

     

    Il est bien sûr question de l’ordre dans lequel on range les livres, des catalogues, de l’espace toujours insuffisant. Microfilms et ordinateurs ont prétendu triompher du papier, Manguel leur oppose un démenti cinglant, preuves à l’appui. Les nouvelles technologies, très coûteuses, si elles rendent service, sont à l’origine de désastres lorsqu’elles prétendent remplacer l’original par sa copie virtuelle. Coûteuse version multimédia irrécupérable moins de vingt ans plus tard, banques de données perdues, les problèmes de sauvegarde sont tels que « notre héritage de plus en plus numérique est en grand danger de disparaître », affirme un expert mondial en la matière.

     

    L’ouvrage très documenté de Manguel aborde la question de l’accès aux livres, qui a motivé d’illustres créateurs de bibliothèques publiques comme Carnegie : il fit construire plus de deux mille cinq cents bibliothèques dans douze pays anglophones. John Updike le remercia pour la liberté qui lui avait été ainsi donnée « pendant ces années de formation pendant lesquelles, en général, nous devenons ou non des lecteurs pour la vie. »

    Censure, autodafés, un chapitre passionnant sur les formes des bibliothèques et des salles de lecture – « Les livres confèrent à une pièce une identité particulière » – Manguel aborde le sujet sous tous les angles, multiplie les anecdotes significatives. Dans la bien nommée collection Babel, La bibliothèque, la nuit ne compte pas moins de vingt pages de références bibliographiques et seize pages d’index ! Jamais ennuyeux, cet allègre panorama au royaume des bibliothèques nous apprend qu’on distingue les pierres « majuscules » et « minuscules » du tuffeau qui a servi à construire son antre, que des « biblio-bourricots » amènent des livres au cœur des campagnes colombiennes, que « tout lecteur est un voyageur qui fait une pause ou quelqu’un qui rentre chez lui. »