« Jamais, plus tard, toute une vie plus tard, je ne pourrais éviter la bouffée d’émotion – je ne parle point de celle que provoque la beauté de ces figures, celle-ci n’a pas besoin d’explication : elle est évidente, au premier degré –, d’émotion rétrospective, morale, pas seulement esthétique, que susciterait en tous lieux la contemplation des promeneurs de Giacometti, noueux, l’œil indifférent dressé vers des cieux indécis, infinis, déambulant de leur pas inlassable, vertigineusement immobile, vers un avenir incertain, sans autre perspective ou profondeur que celle que créerait leur propre démarche aveugle mais obstinée. Ils me rappelleraient insidieusement, quelle que soit la circonstance, même la plus joyeuse, le souvenir des silhouettes d’antan, à Buchenwald. »
Jorge Semprun, L’écriture ou la vie
© Alberto Giacometti, Trois hommes marchant, 1948, bronze, Yuz Museum, Shangai
En complément pour la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste
Commentaires
un de mes livres préférés que j'ai fait lire et offert de nombreuses fois
Super !
Je l'ai découvert dans les années 90 et j'avais lu certains de ses livres qu'il me faudrait relire à présent c'est vrai car j'étais bien jeune à l'époque et je pense que c'est un auteur qui mérite qu'on s'attarde sur son oeuvre. Par contre je ne connais pas ses poèmes...
C'est le seul livre de lui que j'aie lu. L'extrait me rappelle mon grand-père qui a été détenu à Buchenwald (pour ne pas avoir livré son fils résistant) et en est revenu dans un état de maigreur qui a sidéré sa famille.
J'ai lu ce livre ; je ne me souvenais pas de ce passage là en particulier. On ne peut que le comprendre. Je me souviens de mon saisissement en voyant ces silhouettes à la Fondation Maeght à St-Paul-de-Vence.
Il en a été de même pour moi à la Fondation Maeght. (J'ai longtemps eu près de mon bureau une photo d'un de ces "promeneurs" près d'un bassin.)