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  • Devant la vie

    A Eugenio Scalfari – Rome

    calvino,le métier d'écrire,correspondance,1940-1985,littérature italienne,écriture,lecture,culture,amitié« Etudier, bosser, se soumettre à une tâche. Plus on sait, mieux c’est. Le génie ne suffit pas. Moi aussi me voici pris d’une fièvre de culture qui va tous azimuts. Malheureusement, paumé ici dans cette ville inconnue, je n’ai pas le loisir de la satisfaire, mais j’essaie de récupérer lors de mes rares parenthèses à San Remo. Moi aussi, j’ai vu les Six personnages par Ricci. Ici la pièce a eu un grand succès ; seule une bande d’excités l’a sifflée depuis le poulailler. Je faisais partie de ces excités. Sifflé ce bouffon de Ricci, bien sûr, pas Pirandello. Pirandello c’est du solide, je l’avais lu et relu et médité et je ne l’ai pas encore bien digéré mais ils sont peu nombreux ceux qui peuvent dire qu’ils l’ont vraiment digéré. Mais même si je lui découvre toujours une nouvelle qualité, je ne parviens pas à réduire la distance qui nous sépare. Dentone lui aussi m’a écrit qu’il l’a vue et ajoute : la philosophie n’est pas la poésie et elle ne fait pas rêver. Il n’a peut-être pas tort. Mais on part dans tous les sens : ce que j’ai à te dire est tout autre chose, et le savon que tu vas prendre est bien plus grave. Quand donc auras-tu fini de prononcer des phrases comme celles-ci : « tous les moyens sont bons à condition de réussir », « suivre le courant », « se conformer à l’époque » ? C’est ça les idées d’un jeune homme qui devrait se présenter devant la vie avec pureté d’intention et sérénité quant à ses idéaux ? »

    Italo Calvino, Le métier d’écrire (lettre écrite de Turin, 7 mars 1942)