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  • Paula et Stein

    L’affaire Pavel Stein de Gérald Tenenbaum est le roman d’une rencontre essentielle – un thème déjà présent dans Les Harmoniques et surtout dans Reflets des jours mauves. Chez cet écrivain et chercheur en mathématiques pures, il n’est pas de rencontre par hasard ou alors ce serait un hasard né d’un calcul de probabilités.

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    Ce roman court est le récit d’une femme, Paula. Elle se décide à l’écrire une vingtaine d’années après les faits, pour une raison qu’on ne découvre qu’à la fin. C’était « juste avant le tournant du millénaire, alors que l’on attendait un séisme, un bouleversement, peut-être même la fin du monde ». Elle a ses règles le jour où elle s’habille pour assister à une projection promotionnelle d’un film de Pavel Stein – un détail inhabituel qui surprend de même que sa manière de choisir ce qu’elle portera pour la circonstance. L’auteur a ses raisons et son personnage, ses humeurs.

    Elle n’a pas trop envie d’aller s’enfermer dans une salle obscure. Mais Stein est incontournable dans les médias : cet « écrivain, cinéaste, homme de théâtre et de communication » est devenu « le Monsieur Mémoire du monde médiatique – et la bonne mauvaise conscience du monde occidental tout entier. » Né en Russie, il a grandi en Israël pendant la guerre, puis a fait le voyage en sens inverse de beaucoup de Juifs en s’installant en Europe de l’Ouest.

    Son petit livre original sur le vide ou le manque, d’abord refusé par les éditeurs, a séduit un producteur américain. Il lui fallait respecter une clause particulière : de son vivant, seul l’auteur pourrait en réaliser l’adaptation. Le succès du film l’avait propulsé à l’avant-plan sur la scène médiatique et Stein a su conserver cette place.

    Paula pense souvent à sa mère qui n’est plus là – « Il y a peu de certitudes dans l’existence. L’amour d’une mère en est une. En disparaissant, une certitude laisse un gouffre. Ou un maelström. » Depuis deux ans, Paula tient la rubrique « cinéma-théâtre sur J-Médias ». « Le regard de Paula Goldmann » commente des spectacles susceptibles « d’interpeller le public d’origine ashkénaze ou séfarade dans sa recherche identitaire ».

    La réflexion de Stein sur le mal, son « fonds de commerce », échappera-t-il au politiquement correct dans son film Les cent vingt jours de Sodome, « une allégorie biblique, sans référence, d’après lui, au regretté Pasolini » ?  Il a réalisé dix-neuf films en dix-neuf ans – « belle addition pour un spécialiste du manque ! »

    Comme un code sous-jacent, les nombres premiers s’invitent à tout propos dans ce roman : le studio quatre-vingt-dix-sept où a lieu la projection rappelle à Paula l’année de son voyage en Egypte avec Selim et de leur rupture. « Selim, à l’envers, ça donne Miles. C’est vrai qu’il m’avait fait faire un sacré bout de chemin, celui-là. » Les lettres, autre code dans L’affaire Pavel Stein. « PS », cela correspond aussi à Paula et S. Un signe ?

    Si le film projeté n’est pas génial, Paula trouve quelque chose de poignant à cette transposition du génocide nazi dans « une description actualisée de la destruction de Sodome et Gomorrhe », bien qu’elle craigne qu’il fasse plus de mal que de bien, « entre les journalistes simplificateurs et les nouveaux riches de l’holocauste ». Elle semble prête à le défendre, mais dans le brouhaha des questions posées par les journalistes une fois la lumière rallumée, la sienne récolte une réponse qui la consterne. Prise d’une colère subite, elle s’en va et décide d’aller voir sa tante, une survivante d’Auschwitz.

    L’autre personne chez qui Paula trouve toujours un appui, c’est Antoine, son meilleur ami, gay et « perpétuel amoureux », alors avec Samir, un Libanais qui lui a proposé de l’accompagner au Moyen-Orient, dans une « villa de famille ». La première fois qu’elle rencontre Samir, elle observe son regard, ses mains – quelque chose ne va pas avec le portrait qu’Antoine avait fait de lui.

    « Jamais je n’aurais imaginé que Stein vivait seul. » Sur un coup de tête, Paula l’a appelé et « le grand homme » a accepté qu’elle vienne l’interviewer chez lui. Elle trouve sa maison « un peu à l’abandon » comme lui, à cinquante-neuf ans. Elle veut l’interroger sur ce qui le motive, sans prétendre percer l’homme à jour. Pendant qu’il prépare du thé, elle remarque « un story-board ouvert sur le divan », son « film de papier », dit Stein, dont il lui demande de ne rien dire.

    C’est ce jour-là que naît entre eux une relation amoureuse inédite. Stein s’absente souvent, Paula ne l’accompagne pas partout. Ils ne partagent pas le même temps. « En fait, moi qui comptais pour le plaisir, je savais combien je comptais pour lui et, au fond, il n’y avait que cela qui comptait. Je l’attendais donc sans compter. » Quand Stein lui offre un aller-retour pour Lhassa, elle dit oui.

    Kabbale et histoire, cinéma, littérature et yoga, de nombreuses pistes se croisent dans L’affaire Pavel Stein, de façon littérale ou allusive. Dans cette histoire d’amour où les corps se rencontrent, la réflexion, les idées, les questions de conscience comptent considérablement.