« […] Venir ici après ce que vous avez fait – s’il vous plaît, laissez-moi finir…
– Allez-y, dit-il, bien qu’il n’eût rien fait pour l’interrompre.
– Je ne veux pas me mêler de ça. Je ne suis qu’une voisine. Ce n’est pas mon affaire. N’en parlons plus.
– Qu’est-ce qui n’est pas votre affaire ?
– Eh bien, ce que vous écrivez dans vos livres. D’ailleurs, célèbre comme vous l’êtes, vous ne m’écouteriez pas. Mais que vous ayez pu faire à Laura ce que vous avez fait…
– Quoi donc ?
– Tout ce que vous avez écrit sur elle dans ce livre.
– Sur Laura ? Vous ne parlez pas de l’amie de Carnovsky, je pense ?
– Ne vous abritez pas derrière ce Carnovsky. Je vous en prie, ne mêlez pas vos histoires à ça.
– Je dois vous le dire, Rosemary, je suis un peu choqué de constater qu’une femme qui a enseigné la littérature pendant trente ans dans le système scolaire de New York ne peut pas faire la distinction entre l’illusionniste et l’illusion. Peut-être confondez-vous le ventriloque en train de dicter avec une marionnette démoniaque.
– Ne vous abritez pas non plus derrière le sarcasme. Je suis vieille mais je suis encore un être humain. »
Philip Roth, Zuckerman délivré in Zuckerman enchaîné
Commentaires
Cet extrait est intéressant car, en effet, j'ai souvent lu des interviews d'écrivains qui racontaient que des lecteurs leur demandaient si cela leur était "vraiment arrivé"!
On dit bien que tout roman est en partie autobiographique, mais...
Merci et bonne soirée Tania
Combien de fois n'entend-on pas cette confusion, même dans une émission comme "La grande Librairie" où F. Busnel essaie régulièrement de vérifier la part autobiographique…
Bonne soirée, Colo.
Chère Tania, je viens de faire un petit rattrapage de vos derniers posts dont votre très belle recension de l'exposition "Après Klimt".(vu l’exposition Le Caravage à Paris, mais pas eu le temps d'en faire un billet). Avec Philip Roth et ce dialogue sur l'illusion et l'illusionniste, on a affaire à l'un des plus grands, de ceux qui tirent de leur propre vie de quoi alimenter la rumination de chacun d'entre nous tant ils ont l'art de capturer dans leur propre passage sur terre et le particularisme de leur propre aventure ce qui est commun à tous les mortels.
Bonsoir, Zoë, heureuse de vous retrouver ici. Vous résumez très bien l'apport de Philip Roth et on peut retrouver cette humanité "commune" même chez ce Zuckerman devenu millionnaire.
(Les expos parisiennes sont fort tentantes, mais la foule, l'inscription pour une heure fixe, les contraintes découragent parfois.)
En effet, dans les interviews, la part autobiographique fait l'objet de la première question presque toujours et c'est agaçant parce que tout le monde n'a pas le talent de Roth pour répondre ..
Et encore plus agaçant quand, malgré les mises au point de l'auteur, l'intervieweur continue à le confondre avec son personnage. Bon dimanche !
Interviewer, je corrige.
Bel extrait.
Belle séquence que ces billets aussi.
Roth est prévu ! Il est en attente que certaines obligations s'envolent définitivement ;-)
C'est à suivre - et à lire quand vous pourrez. Bonne soirée, K.