« En ce moment mon œuvre est sombre, chargée de choses qui ne sont pas toujours si positives. Mais elles sont très belles, enfin, je veux dire que la beauté en est un élément. Peut-être que je me sers de la beauté pour faire contraste avec le vide, avec la fadeur des choses. » (Les voix dans la chapelle)
Winterreise © Michaël Borremans / Zeno-X-Gallery(Antwerp)
Michaël Borremans, As sweet at it gets, sous la direction de Jeffrey Grove, Palais des Beaux-arts, Bruxelles, Hatje Cantz, 2014.
Commentaires
La beauté cohabite aisément avec la fadeur et le vide ou la tristesse. Mais elle risque l'impudeur en compagnie de l'horreur.
c'est vrai que son oeuvre me plaît par son côté esthétique, oui, par sa beauté :-)
Belle citation de cet artiste belge. Bon week-end Tania.
Comme l'œil, la voix est dans les bois et celle de la chapelle n'est certainement pas celle d'un dieu unique ;-), du dieu d'Abraham !!
Quant à la beauté triste, je suis assez d'accord avec christw, l'art "sombre" court le risque de l'impudeur... j'ajouterais le risque du découragement auprès du spectateur, le risque qu'il se complaise dans une ambiance stérile et fataliste; c'est un art qui n'incite pas forcément au réveil et à la volonté de changer les choses. Mais peut-être que je me trompe.
@ Christw : Votre commentaire me laisse pensive, je me garderai d'y répondre, mais MH y a réagi ci-dessus.
@ Adrienne : La beauté est parfois mise à mort, pas ici.
@ Un petit Belge : Heureuse que tu l'apprécies, bon week-end aussi.
@ MH : Merci d'avoir répondu à Christw. Je précise pour qui l'ignorerait que le nouvel atelier de Borremans se situe dans une chapelle désaffectée à Gand. J'ajoute dans la foulée un lien vers un portrait paru dans Libé, sous la citation.
Oui, oui, la beauté n'est pas mise à mort... la peinture est sublime et on la prend de plein fouet, avec un plaisir intense ! Mais comme dit Patrick Roegiers (cfr le lien) c'est un monde "inerte, opaque" et pas loin de la perversité.
Dans sa chapelle, les anges sont noirs, les dieux sont tous morts et je me questionne quant à la finalité de tant de talent...
C'est vrai que la beauté est là, même si l'homme paraît accablé. Je lis le dernier commentaire et c'est difficile d'ajouter quelque chose lorsque l'on n'a pas vu l'ensemble.
Je pense qu'il n'y a pas de réponse définitive à la question de la cohabitation de l'horreur et de l'art. Il faut la dire et l'art est une manière. J'éprouve de la gêne à lire, à voir traitée l'horreur et la violence de façon trop belle ou lyrique. C'est peut-être très personnel.
Cas précis :quand je lis Ernst Jünger sur la guerre dans les tranchées, je se demande s'il y a vraiment souffert pour pouvoir faire du «style» avec.
Mon sentiment est bien difficile à décrire, je l'avoue.
Beau sujet de philosophie!
En effet ma première réaction lorsque je regarde ou lorsque je lis une "horreur esthétique" est, comme Christw le décrit, le même sentiment de gêne.
Mais je me demande aussitôt après quelle serait ma réaction si elle était écrite ou peinte "avec les pieds", c'est à dire sans soin et sans un minimum de désir de la faire partager. Peut-être aurais-je alors l'impression que l'horreur est encore plus horrible quand on lui manque de respect.......?
Très beau dimanche Tania
@ MH : Un art qui questionne, absolument !
@ Aifelle : J'espère que tu auras l'occasion de voir cette peinture en France prochainement (il a exposé à Paris en 2006), les œuvres de Borremans voyagent plus dans les pays de langue germanique, semble-t-il.
@ Christw : Merci pour le débat. Borremans fait réagir, comme il le dit il se sert de la beauté - contre l'indifférence ? la passivité ? Un artiste à suivre, pour ma part, précisément pour la force de ce questionnement.
Pour Jünger, jamais lu, je ne saurais dire quoi que ce soit. Cette après-midi, je découvrirai la guerre à travers le regard de ma cousine, dont l'exposition "De grote oorlog" s'ouvre à Denderleeuw.)
@ Gérard : Très beau dimanche, Gérard. Oui, saluons l'art de peindre, en effet. Merci de participer à la discussion.
"Une réponse possible réside dans l'interrogation elle-même" dit Ahuva Israêl... oké, c'est ce qu'on dit quand on n'a pas de réponse,;-) mais plus vraie, plus honnête comme réponse est celle qu'on trouve dans une lettre de Rilke (citée par un autre auteur du catalogue que je ne retrouve plus) qui parle de l'art comme un réconfort parce que "c'est quelque chose d'humain".
Dans le genre "obscurément humain", une autre artiste est à voir pour l'instant, elle expose au Smak à Gand : Berlinde De Bruykere. Mais accrochez-vous, la beauté souffrante qui se dégage de ses sculptures dépasse l'entendement... vous sortez de la visite avec une sensation christique ;-). Et malheureusement, je ne crois pas que le questionnement qui en découle, qu'il soit conscient ou inconscient, individuel ou collectif, soit efficace pour le destin humain ;-) http://www.smak.be/tentoonstelling.php?la=fr&y=&tid=&t=&id=582
Bonne soirée Tania, et grand merci pour vos billets passionnants.
Faut-il toujours une réponse à l'œuvre d'art ? Merci pour le lien vers l'exposition de Berlinde De Bruyckere dont la presse a beaucoup parlé : une œuvre traversée par la mort, la souffrance, la métamorphose - je n'ai jamais vu son travail en réalité et il me semble redoutable.
Redoutable, c'est le mot...
Il faut un sens à l'œuvre d'art (je parle pour les artistes professionnels) mais bien de savants se sont penchés sur le sujet et, à vrai dire, n'avancent pas d'un pet ;-). Je crois que c'est un peu comme si on cherchait le sens de la vie.
Redoutable, c'est le mot...
Il faut un sens à l'œuvre d'art (je parle pour les artistes professionnels) mais bien de savants se sont penchés sur le sujet et, à vrai dire, n'avancent pas d'un pet ;-). Je crois que c'est un peu comme si on cherchait le sens de la vie.
avec le recul, je regrette avoir raté l'expo borremans, mais il est vrai que je ne me sentais pas assez forte pour une telle peinture à ce moment-là - j'aurais dû laisser ma curiosité l'emporter, plutôt que mes "sentiments viscéraux"
Je rejoins gerard : exprimée crûment, l’horreur serait-elle moins gênante ? Je pense au contraire que le malaise suscité serait tel que je voudrais détourner le regard. L’horreur « sublimée » peut indigner, mais elle se fraie un passage dans le cœur des hommes, sans trop de brutalité. Est-elle pour autant dénaturée ou moins authentique? Je trouve « Le Saule » (Hubert Selby jr) sublime, mais terriblement violent. Sans cette poésie, par moments, nous passerions peut-être à côté d’une chose essentielle, découragés par tant de noirceur « brute ». D’autant que pour écrire du « violent non-esthétique », il faudrait que ce soit dénué de sentiments, ce qui demanderait un travail de détachement encore plus gênant.
Je crois aussi que la poésie est dans le regard de certains hommes, quoi qu’ils appréhendent. Ce que ces personnes donnent à voir sont alors les impressions qui accompagnent leur expérience humaine.
Est-ce que l’artiste doit endosser la lourde responsabilité de porter un message à l’humanité ? C’est un grand (et autre) débat. Peut-être qu’il veut juste sauver sa peau, l’artiste. Son œuvre pourrait revêtir pour lui un sens qui l’aide à se construire, quand d’autres la perçoivent comme totalement destructrice.
Enfin, « Beauty is in the eye of the beholder » comme on dit si bien en anglais. Pour ma part, dans ce tableau, je ne vois pas de « beauté » dans le sens d’une réalité embellie. Je me demande si on n’appelle pas beau ce qui nous touche. N’est-il pas question de sentiments plus que d’esthétisme ?
Ma conclusion, quoiqu’un peu sombre: je crois que parfois, le chaos de certains artistes rencontre le vide intérieur du spectateur. Selon que l’on soit plus ou moins à l’aise avec notre part d’ombre, qu’on l’ait plus ou moins côtoyée dans notre existence, on peut se sentir mal à l’aise, ou plutôt soulagé. Soulagé que quelqu’un semble « savoir », quand ça ne répond pas toujours ailleurs…
@ MH : Cherchons...
@ Niki : Cela nous arrive, Niki, la curiosité n'en sera que plus forte à la prochaine occasion.
@ D. : Merci, D., pour cette réflexion qui rappelle bien la part personnelle que chacun prend à cette relation entre beauté, sens, et vie.
Personnellement, j'ai pensé au "Voyage d'hiver" de Schubert, dont un ami (artiste sculpteur) m'avait parlé et qu'il me disait écouter quand il avait le blues...
De même, en lisant les commentaires - je crois que le "parti" de l'oeuvre est laissé au libre choix de l'artiste. Il fait ce qu'il veut. J'ai pensé aussi à un de mes anciens élèves, (infernal à l'époque o;( qui est devenu un bon artiste, un vraiment très bon artiste, et qui témoigne aussi, de ce que fut le destin d'une partie de sa famille... (Auschwitz). Avec beaucoup de pudeur.
Personnellement, j'aime beaucoup la toile exposée ici.
@ Pivoine : Merci d'insister sur la musique, sur la beauté du "Voyage d'hiver".
(Si l'artiste dont vous parlez montre son travail en ligne, n'hésitez pas à ajouter un lien ici ou au billet du jour, dans la même thématique.)
Oui, la beauté appartient aussi aux larmes, à la détresse, au crépuscule. C'est simple et beau et surtout...vrai. Là où il y a de l'authenticité, il me semble qu'il y a de la beauté.
@ Armelle B. : "Là où il y a de l'authenticité, il me semble qu'il y a de la beauté."
Oh oui - merci, Armelle.
Armelle souligne un point important qui peut nous aider à comprendre la beauté, c'est la sincérité de l'artiste. Je crois que cela vaut aussi pour le regardeur... comme gérard qui parle de gêne ou DuPoint qui souligne l'approche personnelle de l'art, une approche en rapport avec son vécu et son tempérament. Alors, en fonction des sentiments que l'on éprouve à tel ou tel moment de sa vie, on sera plus sensible à tel ou tel artiste, non ?
Cette relativité vaut aussi pour l'attrait que l'on a pour le mouvement artistique, le concept ou la figure par exemple, ou les deux en alternance.
Juste pour le fun, je vous mets en opposition deux oeuvres en 3D pêchées sur le net. L'une est joyeuse et ludique, ce sont comme des portes à découvrir et l'autre est une vanité... vue sous cet angle, elle "questionne" sérieusement.
http://artcontemporainchaquejour.blogs.lalibre.be/
http://lightness.aeroplastics.net/#carolein-smits
@ MH : Bien sûr, notre sensibilité personnelle intervient par rapport aux œuvres d'art et se confronte à celle de l'artiste. Mais cela ne se réduit pas au simple sentiment, il me semble, du moins si l'on veut bien aller au-delà de sa première réaction. Bonne soirée, MH.
Exact. Ce qu'on ressent face à une oeuvre n'exclut en rien la réflexion, l'interrogation, l'influence etc., tout ce qui se passe dans le cerveau mais le sentiment est essentiel parce que c'est le premier à entrer dans le jeu du face à face artistique.
Merci, Tania.