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Bellow l’observateur

De Saul Bellow, voici un court roman intitulé Une affinité véritable (The Actual, 1997, traduit de l’anglais par Rémy Lambrechts). En semi-retraite, bon observateur, l’air chinois, Harry Trellman a derrière lui une enfance à l’orphelinat (ses parents l’y ont placé), un don pour le commerce et de bonnes affaires en Birmanie qui l’ont « assuré d’un revenu jusqu’à (ses) vieux jours ». 

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Une vue de Sheridan Road à Chicago (Photo Wikimedia)

A Chicago, il possède un commerce d’antiquités et un appartement « en bordure de Lincoln Park ». Sa réputation « de bon connaisseur de l’Orient » lui vaut d’être invité dans de bonnes maisons et, à un dîner, il rencontre « le vieux Sigmund Adletsky et Mme » – l’homme est célèbre pour avoir fait bâtir des palaces sur la côte mexicaine et d’autres « palais de rêve pour plages subtropicales », avant de confier son empire à ses descendants.

Frances Jellicoe, qui a hérité d’une fortune et de tableaux de grands maîtres, divorcée à la demande de Fritz Rourke, le père de ses deux enfants, continue à l’aimer et à le recevoir. Au dîner qu’elle donne ce soir-là, celui-ci s’enivre et perd à nouveau le contrôle de lui-même – « Le vieil Adlestky était assis à ma table et lui non plus n’en perdait pas une miette. » Quelques jours plus tard, Harry reçoit un mot d’Adletsky qui voudrait le rencontrer.

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Quand ils se revoient au sommet d’un immeuble, Adletsky ne lui pose pas de questions personnelles : « Ma vie et mes œuvres avaient été passées au crible par ses collaborateurs. Manifestement, j’avais survécu au test préliminaire. » Le vieillard a été frappé par sa grande culture générale et lui qui est « riche au-delà de l’entendement de la majorité des gens » l’interroge sur ce qu’il a vu ce soir-là chez Frances Jellicoe, les autres invités, le manège des uns et des autres. Adletsky s’est très peu mêlé à la vie mondaine tant qu’il était actif, il souhaite à présent qu’Harry, « un observateur de première classe », fasse partie de son « brain-trust ».

D’un tout autre milieu, Amy Wustrin est la seule personne qui compte pour Harry ; ils sont brièvement sortis ensemble au lycée puis se sont perdus de vue, mais elle est restée son « objet d’amour » : « Un demi-siècle de sentiment est investi en elle, de fantasmes, de spéculations et d’obsessions, de conversations imaginaires. » Devenue décoratrice d’intérieur, Amy a rendez-vous avec les Adletsky dans un grand duplex qu’ils achètent aux Heisinger sur Sheridan Road – ceux-ci voudraient qu’ils reprennent aussi leur mobilier et Amy doit en estimer la valeur. Mme Heisinger avait été la cliente de Jay, le mari d’Amy, décédé un an plus tôt (l’ami de Harry depuis l’orphelinat). 

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Ajoutez à ces relations et tractations un problème de caveau de famille au cimetière, et vous aurez les ingrédients d’Une affinité véritable. L’intrigue, assez embrouillée, y importe moins que les liens noués, dénoués, renoués entre les uns et les autres, le tout rapporté à la première personne par Harry, acteur et témoin. « Je n’aurais jamais osé penser qu’Amy attendait son heure tandis que je me rapprochais d’elle. » Une centaine de pages pour vérifier s’il existe ou non, entre Amy et lui, une véritable affinité, voilà le sujet du roman de Saul Bellow, qui avait une grande expérience en la matière (mariages et divorces).

Hasard de lecture, le Courrier international parle cette semaine des « nouveaux ghettos des milliardaires » – « Les ultrariches s’emparent des villes ». Dans One Hyde Park, « l’immeuble résidentiel le plus cher de tout Londres », 80% des appartements ont été « achetés par des sociétés basées dans les îles Vierges britanniques ». Alex Preston (The Guardian, 6/4/2014) en a fait le tour avec un agent immobilier. 

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On lui fait visiter les parties communes : « Premier arrêt, la bibliothèque, où l’on a manifestement voulu reproduire l’atmosphère d’un club. Aucun livre en vue. Et même s’il y en avait, il ferait trop sombre pour lire. Tout est bois sombre et pierre noire, et les coins de la pièce sont plongés dans les ténèbres. Il n’y a aucun être humain. » En suivant le journaliste des salles obscures et silencieuses (cinéma, piscine) aux appartements luxueux dont si peu de fenêtres s’éclairent le soir, je pensais aux vieux richards de Chicago observés par Saul Bellow, curieux de la comédie sociale et humaine.

Commentaires

  • chacun son ghetto, en somme ;-)
    mais en a-t-il jamais été autrement, voilà ce que je me demande en ce matin du premier mai ;-)

  • le sujet du retranchement des riches est tout à fait intéressant j'en ai observé en France les premiers signes il y a une dizaine d'année à Marseille où des lotissements entiers se fermaient avec grilles et vigiles, j'avais souvent à y travailler et aller poser une perfusion me demandait 10 minutes de tractation avec le vigile au mépris de tout secret médical car je devais dire chez qui j'allais !!!
    je note ce roman une fois de plus certaine que ton choix est pertinent

  • @ Adrienne : Ainsi va le monde, Bruxelles a aussi son "square des milliardaires" près du Bois de la Cambre, mais heureusement ce genre de clos privé reste ici une exception. Bon congé du premier mai, Adrienne !

    @ Dominique : Incroyable, j'imagine comme ce devait être rageant ! (Sur le mépris du secret médical et finalement des personnes, j'aurai une histoire à écrire un jour, j'attends sa conclusion.)
    Pour ce qui est de Marseille, et sans doute de toutes les grandes villes, les incivilités et surtout les agressions finissent par créer une obsession de la sécurité, elle est loin l'époque où on laissait la porte ouverte pendant la journée.
    Dominique, ce roman-ci n'a pas la qualité des chefs-d'oeuvre de Saul Bellow évoqués précédemment, la construction du récit est assez lâche, mais c'est un plaisir de suivre le regard du narrateur.

  • Depuis la nuit des temps les riches habitent des quartiers de riches, dans des villes de riches et ils n'ont surtout pas envie que les pauvres, qui comme on sait sentent mauvais, viennent empester leur atmosphère. Puis un jour vient où les pauvres viennent prendre ce que les riches possèdent, alors ils deviennent à leur tour riches et le cycle continue...

  • contente d'en apprendre un peu plus sur cet écrivain dont je ne connaissais que le nom - je pense qu'il est un peu "âpre" pour moi (je ne suis pas assez intellectuelle je pense ;) )

  • @ Niki : Pas d'intellectualisme chez Bellow, à mon sens, mais beaucoup d'introspection et d'observations très concrètes. Lire une première page, si tu en as l'occasion, permet d'apprécier le ton du récit et de sentir si on y entre ou pas.

  • Je lisais un article hier qui n'est pas loin non plus du ghetto de riches, il n'y a pas de barrières et de vigiles, mais c'est l'argent qui se charge d'en dresser plusieurs, invisibles : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/05/01/pourquoi-les-manifestations-anti-high-tech-se-radicalisent-a-san-francisco_4410201_651865.html
    Tu es fidèle à cet auteur, j'espère le lire tôt ou tard.

  • @ Aifelle : Merci pour le lien, l'article est très intéressant et pointe bien les problèmes et les conséquences de plus en plus explosives des inégalités sociales. Je n'en ai pas fini avec Bellow, tu t'en doutes.

  • Ah les riches et ceux qui ne le sont pas. Grand débat. C’est quoi d’ailleurs être riche ?... Avoir de l’argent ?... Vivre confortablement d’un point de vue matérielle ?... Sans doute. Et pourtant. Je connais de ceux-là qui sont si pauvres. Tellement pauvres qu’ils finissent par être malheureux dans leurs tours d’argent et or. Si, si…

    Pour ce qui est de Sam Bellow désolé par l’ignorance, mais quelque chose me dit qu’une visite chez Filigrane avant les vacances s’impose.

  • Peut-être en arriverai-je à votre conclusion sur leur qualité (construction un peu lâche) au regard des autres œuvres de l'auteur, mais j'ai trouvé d'occasion, pour rien, deux Bellow qui m'attendent : "L'hiver du doyen" et des nouvelles "Au jour le jour".
    J'espère vous en parler bientôt.
    Content également de voir que vous appréciez le regard aigu de cet auteur.

  • Je suis perplexe. Attirée et ... hésitante. Ca semble compliqué mais aussi... complet. Les vies prennent des années pour devenir claires, ou tout au moins lisibles. Donc oui, ça peut prendre très longtemps de réaliser une affinité complète....

  • @ Armando : Comme répondu par ailleurs, les mêmes mots peuvent porter des valeurs très différentes, merci de le rappeler. Bonne visite en librairie, Armando.

    @ Christw : Chic, bonnes lectures ! Je vous suis reconnaissante de m'avoir fait rencontrer Bellow.

    @ Edmée De Xhavée : Ce récit de Bellow est très accessible, Edmée, je m'en voudrais de donner de Saul Bellow l'image d'un écrivain compliqué.

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