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Mychkine l'idiot

Le prince Mychkine m’accompagne depuis que j’ai lu Dostoïevski en rhétorique. L’Idiot, titre moins connu que Crime et Châtiment, m’attirait. Comment l’ai-je lu alors ? Question vaine, réponse impossible. 

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C’est dans un compartiment de troisième classe du train Varsovie-Pétersbourg que se font face pour la première fois Rogojine, 27 ans, chaudement habillé, « un sourire impertinent, moqueur et même méchant », et un jeune homme blond du même âge qui grelotte dans un manteau sans manches, inapproprié pour une fin de novembre en Russie.

Interrogé par l’homme en touloupe, il raconte qu’il a passé quatre ans en Suisse où il a reçu un traitement contre l’épilepsie. Son protecteur est mort, il a l’intention de se rendre chez la générale Epantchine, une parente très éloignée, bien qu’elle n’ait pas répondu à sa lettre. Un voisin de compartiment se mêle à la conversation. Lébédev, un fonctionnaire, s’enquiert de l’identité du jeune voyageur : c’est le prince Mychkine, « dernier de la lignée ».

Rogojine vient à Pétersbourg pour toucher sa part de l’héritage paternel. Il était en froid avec son père depuis qu’il avait dépensé son argent pour offrir des boucles d’oreilles avec deux brillants à Nastassia Philippovna, beauté « entretenue » qui s’affiche tous les soirs au théâtre – son père était allé les récupérer. 

Les Epantchine ne connaissent pas le prince, et quand il se présente chez eux pour faire connaissance, le général qui a épousé une princesse Mychkine, dernière du nom « dans son genre », est étonné de sa simplicité, celle d’un « pauvre d’esprit », « presque idiot » et sans argent. Mychkine entend le général et son secrétaire Gavrila Ivolguine parler de Nastassia Philippovna, il leur rapporte les propos de Rogojine. Le général engage le prince à son service, il logera chez Gavrila qui dispose de chambres à louer.

Les portraits des trois filles du général Epantchine, belles, cultivées et d’éducation assez libre, mènent à la question du mariage : Totski, le protecteur de Nastassia Philippovna, 55 ans, voudrait épouser l’aînée, Alexandra ; la plus jeune et la plus belle, Aglaia, est promise à un plus grand destin. Totski a confié au général le problème auquel le confronte sa protégée, la fille d’un voisin ruiné qu’il a recueillie après sa mort et à qui il a procuré une bonne éducation. Belle et intelligente, elle est venue s’installer chez lui et l’accable à présent de ses sarcasmes. Il voudrait la marier avec Gavrila (appelé Gania) qui semble lui plaire, pour s’en libérer. Le général, à qui elle plaît aussi, veut lui offrir en secret un collier de perles pour son anniversaire. 

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Mychkine devient un familier des Epantchine, curieux de l’entendre raconter sa vie en Suisse, surpris de son amour pour les ânes, fascinés par ses impressions sur une exécution capitale à laquelle il a assisté. La manière dont il s’adresse à chacun est singulière, mais souvent juste. Naïf, il parle sans se soucier de l’effet produit, par exemple quand il trouve Aglaia « presque aussi belle que Nastassia Philippovna » dont il a vu un portrait.

Quelle sera la réponse de cette « créature » à Gania qui convoite surtout la somme que le général lui a promise en récompense ? Nastassia Philippovna fait scandale partout où elle apparaît par l’audace de ses propos et de ses manières. Quand elle surprend son prétendant chez lui, en famille, Rogojine qui l’a suivie promet devant tout le monde cent mille roubles à Nastassia Philippovna pour qu’elle l’épouse, lui. Le prince s’interpose quand Gania, furieux, veut gifler sa sœur pour avoir traité la visiteuse de « dévergondée », et reçoit le coup.

L’Idiot (traduit du russe par A. Mousset) ne manque ni de péripéties ni de digressions avant que Nastassia Philippovna ne choisisse clairement entre l’ambitieux Gania, Rogojine le diabolique et le prince Mychkine. Bon et compréhensif à l’égard de tous, quels qu’ils soient, celui-ci devient un bon parti, malgré son « idiotie », grâce à un héritage inattendu. Pour Mychkine, Nastassia Philippovna n’est pas telle qu’elle se montre, sa folie vient d’une grande souffrance.

Tous se rendent à Pavlovsk pour la belle saison, le prince s’y installe dans la villa de Lébédev. Quand Aglaia semble s’enticher du « chevalier pauvre » (dans un poème de Pouchkine d’après Don Quichotte, un des héros préférés de Dostoïevski), la générale Epantchine commence à s’inquiéter pour sa fille cadette qui tour à tour admire et méprise Mychkine. Nastassia Philippovna a loué la plus belle calèche de Pavlovsk et prend plaisir à troubler la bonne société par son luxe voyant et son train de vie. 

Autour des protagonistes, une foule de personnages, la société russe. L’auteur multiplie les portraits, s’attache à dévoiler l’être humain sous les apparences et les positions sociales. De longues conversations, à l’occasion de problèmes rencontrés par tel ou tel, abordent toutes sortes de sujets moraux, politiques, religieux, philosophiques…

Les interventions de Mychkine dans le débat ne relèvent pas du jeu mondain, elles sont sincères et déconcertent ceux qui l’écoutent. Est-ce plus conciliable avec les rites et les règles de la société qui l’accueille que les foucades de l’imprévisible Nastassia ? Entre comique et tragique, L’idiot charrie de manière parfois confuse mais avec passion tous les thèmes de Dostoïevski, hanté par la question du bien et du mal, autour de cette figure inoubliable de la compassion.

Commentaires

  • Comment suis-je arrivé au bout de ce gros volume, en seconde ou en rhéto, contraint par le professeur de français "kiobligeaitkonliselesgommes" ?
    J'appréciais le récit, je crois bien, mais il n'aurait pas fallu un délai trop court, et j'aurais peut-être préféré que ce soit par choix que j'aie découvert L'idiot.

    Le Prince Mychkine me reste autant qu'il vous accompagne encore et quand on l'évoque, je vois le regard clair et un peu fou de Gérard Philippe. Grâce au livre, car je n'ai pas vu le film...

  • Vu la longueur des romans russes, et pour nous permettre d'aller à notre rythme dans les nombreuses lectures imposées en rhéto, notre professeur de français nous en communiquait la liste à la fin de l'année scolaire précédente, nous avions l'été pour lire "Anna Karenine" et "Crime et châtiment". Mais choisir, c'est toujours une meilleure entrée en matière, bien d'accord avec vous.
    Je n'ai pas vu d'adaptation cinématographique de "L'Idiot", quel personnage difficile à incarner ! En relisant, j'ai été frappée par l'importance des personnages secondaires autour du trio tragique qui m'était resté presque seul en mémoire : ils occupent l'espace, discourent, donnent vie aux différents étages de la société russe.

  • J'en ai lu plus de la moitié, fascinée par le héros, adorant les passages où il apparaissait; Mais, euh, je me suis noyée dans les noms et les autres personnages, trop "russes" ou trop dostoievskiens, je ne sais.(je lis mieux Tolstoi)

  • Il est vrai qu'au milieu du roman, la tension, le rythme changent, les personnages secondaires prennent le devant, alors qu'on voudrait voir se clarifier les intentions et les sentiments des autres. C'est sans doute le plus "brouillon" des romans de Dostoïevski.
    Aux lecteurs non russes, une liste des personnages avec leurs longs et petits noms sans compter les variantes serait très utile, c'est vrai, comme pour une pièce de théâtre. Les noter sur une fiche ou sur une page de garde dès le début facilite les choses.

  • c'est bizarre, c'est le seul livre de Dostoievsky que j'aie dans ma bibliothèque et je ne l'ai pas encore lu :-)
    Faudra que je m'y mette!

  • Mes deux tomes en Poche ont attendu longtemps que je les reprenne : il faut du temps devant soi et ne pas être pressée, mais ne pas trop attendre non plus - c'est ce qui m'arrive avec de gros livres que je voudrais relire et que je reporte.

  • Bonne semaine Tania...qui commence avec une mauvaise nouvelle (le décès de l'écrivain belge Alain Bertrand à seulement 55 ans).

  • Que je suis heureuse de lire ce billet et les commentaires qui suivent
    Tania, Chritw : comme je n'ai pas fait de vieux os au lycée je n'ai jamais eu un prof pour m'imposer de lire les Russes, je les découvre toute seule vers 17/18 parfois je n'y comprends rien mais je m'obstine, mais l'Idiot lui m'a parlé tout de suite c'est le premier roman que j'ai lu d'un traite !
    Depuis j'ai vu le film et comme le dit Chritw, le visage, la voix de Gérard Philippe en fait un film inoubliable alors que Dostoïevski y est assez mal traité !!

  • Cela me fait plaisir que tu te sois passionnée aussi pour le prince Mychkine, Dominique. Etonnant comme ces lectures de jeunesse ont semé en nous un amour particulier et indéfectible pour la littérature russe.
    Je viens de visionner un court extrait pour entendre Gérard Philippe dans le rôle, quel acteur, quelle voix, oui.

  • Bonjour Tania,
    Que de souvenirs en lisant ce billet. Je n'ai pas lu le livre, mais d'autres tels que les Frères Karamazov et Crime et Châtiment, que j'ai dévorés à l'époque. Tolstoï avait ma préférence, moins sombre, plus romantique, sans doute... Mais j'ai réellement envie de m'attaquer à l'idiot, encore merci pour ce beau billet.

  • Bonjour, Delphine. Oui, Dostoïevski, le premier peut-être qui nous entraînait dans "la grande profondeur". Tolstoï très différent, moins douloureux, plus ample. George Steiner les a opposés, je te mets un lien vers une vidéo de 1963 où il s'explique à propos de son essai sur ces deux "géants du roman".
    http://www.ina.fr/video/I09325487

  • Un livre lu dans ma grande adolescence et qu'il me faudrait certainement relire, comme les autres. Peut-être celui-ci serait-il un bon choix pour un début. Un peu moins sombre, peut-être.

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