« Arthur avait senti en Van Briggle une étrangeté proche de la sienne. Peu à peu, il s’était cependant aperçu que Van Briggle n’était étranger que de circonstance : tout son être le portait à participer à la course, à en prendre la tête si possible. Chez Arthur, au contraire, la différence qu’il ressentait avec ce qu’il appelait le monde s’était accentuée. Il était persuadé à présent que sa marginalité n’était pas d’être suisse chez les Français ou européen chez les Américains, ni d’être violoniste chez les peintres, artiste chez les enseignants et isolé chez les artistes –, mais qu’elle tenait à quelque chose d’indéracinable dont il tentait de rendre compte quand il affirmait que le contour des choses était trompeur et que ce n’était pas pour autant qu’on pouvait se dispenser du contour. Que l’espace entre les choses était aussi important que celui qu’elles remplissent, mais pas davantage, surtout pas. Ainsi l’inverse de quelque chose
de faux n’était pas juste, ou pas suffisamment juste pour le remplacer, ce qui laissait aussi peu d’espoir à l’état actuel des choses qu’aux révolutions censées l’abolir. »
Pierre Furlan, La tentation américaine