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Kennedy

  • Presque rien

    « Un regard, ce n’est presque rien. Sans signification particulière, sans conséquence. Et c’est ce qui continue à me stupéfier, encore aujourd’hui : que l’existence d’un être puisse être bouleversée par quelque chose d’aussi éphémère, d’aussi périssable. Chaque jour, nous croisons des centaines de regards, dans la rue, dans le métro, au supermarché. C’est une réaction instinctive : vous remarquez quelqu’un en face de vous sur le trottoir, vos yeux se rencontrent une seconde et vous continuez votre chemin l’un et l’autre, et c’est terminé. Alors pourquoi ? Pourquoi ce regard-là aurait-il dû tant compter ? Il n’y avait aucune raison, et cependant… Il a tout changé, irrévocablement. Sauf qu’aucun d’entre nous ne s’en doutait, au moment où il s’est produit.
    Parce que ce n’était qu’un regard, après tout. »

     

    Douglas Kennedy, La poursuite du bonheur.

     

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  • Pour l'histoire

    La poursuite du bonheur, titre qui annonce bien des drames, est signé de l’auteur à succès Douglas Kennedy. Recommandé par une amie, ce roman américain publié en 2001 dépeint les milieux culturels new-yorkais dans la seconde moitié du vingtième siècle.

     

    Kate Malone enterre sa mère. Elle confie son fils à son ex-mari pour parler à son frère, arrivé à la dernière minute. Le « fils indigne » qui n’a pas cherché à revoir sa mère avant la fin est visiblement mal à l’aise. C’est Kate qui s’est occupée d’elle,
    Kate qui va ranger le petit appartement dans lequel leur mère vivait chichement à Manhattan. Et c’est à Kate que s’adresse une inconnue, Sara Smythe, dans une lettre de condoléances où elle affirme la connaître depuis son enfance. Elle souhaite la rencontrer, mais Kate, en deuil, n’en a aucune envie. Jusqu’au jour où lui arrive par la poste un album de photos ; elle y reconnaît ses parents et toutes les étapes de sa propre vie. Alors elle se décide à rencontrer cette Sara, âgée de soixante-dix ans :
    le père de Kate, mort peu après sa naissance, a été « le grand amour de sa vie ».
     

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    Flash-back en 1945. Soirée new-yorkaise, à la veille de Thanksgiving, dans l’appartement d’Eric Smythe, le grand frère de Sara. Pour lui, elle est simplement S., « S. pour "Sara" ou pour "Soeurette" ». Etudiant brillant, il a déçu leurs parents en préférant à une carrière classique la vie de bohème à Greenwich Village. Sara aussi s’est rebellée, a repoussé un prétendant bien sous tous rapports. Elle tente sa chance comme journaliste à New York, où Life lui accorde un stage. Ce soir-là chez son frère, son regard croise celui d’un bel Irlandais, Jack Malone. Coup de foudre à Manhattan. Jack repart avec l’armée le lendemain, ils n’ont qu’une nuit devant eux. « Il savait parler, oui, mais aussi écouter. Et les hommes sont toujours dix fois plus séduisants quand ils ont le don de mettre une femme en veine de confidences. »

     

    Jack et Sara se racontent leur vie, se donnent rendez-vous neuf mois plus tard, à son retour, et promettent de s’écrire entre-temps. Jack manque terriblement à Sara, qui lui envoie lettre sur lettre mais n’en reçoit aucune. Leur histoire d'amour, riche en péripéties, n’est pas toujours à la hauteur de la formule de Puccini citée par l’auteur :
    « Du sentiment, oui, mais pas de sentimentalité. » Un coup de foudre fait-il forcément le bonheur ?

     

    Une belle affection lie Eric et Sara, c’est un autre fil du récit. Le frère et la sœur se soucient beaucoup l’un de l’autre, s’encouragent dans la voie qu’ils ont choisie à contre-courant de leur éducation. Après la publication d’une nouvelle jugée prometteuse, Sara se consacre surtout à “Tranches de vie”, sa chronique hebdomadaire pour Saturday/Sunday. « Oui, je découvrais pas à pas qu’écrire est d’abord un étrange défi lancé à soi-même. » Eric, qui travaille pour le théâtre, n’arrive pas à terminer la pièce de ses rêves. Sympathisant communiste, libertaire, il se retrouve sur la liste noire des maccarthystes qui menacent de révéler son homosexualité s’il ne veut pas lui-même leur livrer des noms. Cèdera-t-il ou non ? « C’est par nos choix que nous nous définissons. » Et l'on comprendra pourquoi Sara Smythe et Kate Malone devaient absolument se rencontrer un jour.

     

    Un roman à lire donc surtout pour l’histoire et son contexte. Conflits professionnels, affaires de famille, espoirs déçus, réussites, surprises bonnes ou mauvaises de l’existence, la description du quotidien (argent, sommeil, alcool...), souvent réaliste, cède parfois aux arrangements providentiels. Avec une écriture factuelle, des
    dialogues surabondants, un style plutôt cinématographique, Douglas Kennedy déroule La poursuite du bonheur sur quelque huit cents pages. « Et puis vous disparaissez, et plus personne ne se souvient du roman qu’a été votre vie. »