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Roman - Page 239

  • Lire et relire

    « Tout ce qui nous entoure est certainement faux, mais nous-mêmes sommes bien vrais. » Voilà la première phrase que j’avais soulignée dans Paula ou l’éloge de la vérité en 1992,  l’année de sa traduction en français pour Actes Sud. Un article du Monde des Livres que je retrouve glissé sous la couverture, avait attiré mon attention sur ce romancier suédois : « Lindgren ou l’illusion du réel ».

    Que retient-on des livres qu’on n’a lus qu’une seule fois ? Je peux le dire exactement pour celui-ci et c’est la raison même pour laquelle je l’ai relu récemment. L’incipit, inoubliable,  ressemble à un conte de fées pour les amateurs de salles des ventes : un encadreur découvre, dès son entrée à l’exposition, une peinture extraordinaire, suspendue parmi d’autres. Il est fasciné au point de perdre l’air détaché qu’affichent par prudence et par ruse ceux qui envisagent d’acquérir un objet, se gardant d’attirer l’attention. Le dialogue muet qui commence entre la madone du tableau et lui, les paroles qu’il échange avec un petit homme chauve qui se montre lui aussi très intéressé, le souci immédiat de rassembler immédiatement la plus grosse somme d’argent possible en vue des enchères – puisque c’est d’un chef-d’œuvre qu’il s’agit -, le récit haletant de la vente elle-même, tout cela s’était greffé très précisément dans un coin de ma mémoire.

    50f5e839547b1bbfc18b6d2dd9ae7327.jpgQue souligne-t-on en lisant ? Il y a, j’imagine, autant de réponses à cette question que de lecteurs. Certains refusent de prêter leurs livres à cause de ces marques trop personnelles. Tout lecteur – ou lectrice puisque les femmes forment le gros des troupes – ne manque pas de remarquer, un jour ou l’autre, en retirant un livre de l’étagère où il était retourné au silence, à quel point le temps a passé. Le crayon s’est posé sous un mot, une phrase qu’aucun écho ne fait plus résonner. Ailleurs surgissent de simples repères, des lieux, des dates, … Bien sûr, des passages cochés pour leur résonance avec le titre du roman, sa thématique fondamentale sur le vrai et le faux. Parfois la musique d’une phrase, la force d’une image.

    Mais quelques années après, on n’est plus du tout celui ou celle qui a souligné cela. L’œil s’attarde ailleurs, voit d’autres choses. Moins obnubilée par l’intrigue, la lecture suit un autre cours et va, peut-être pour la première fois, à la rencontre du texte.

     

  • Le mouvement de la vie

    Le Boulevard périphérique d’Henry Bauchau (Actes sud, 2008) commence dans le métro. Le narrateur pense à Paule, sa belle-fille qu’il va visiter à l’hôpital où on la soigne pour un cancer. En même temps surgit le souvenir de son ami Stéphane, assassiné en 1944, et donc éternellement dans la force de ses vingt-sept ans.

    Jour après jour, nous suivons ces allées et venues, et aussi ce va-et-vient entre présent et passé. La malade est immobilisée, autour d’elle on se déplace. On vient à son chevet, on la quitte. Elle-même, pour continuer à vivre, dans le lit où elle est clouée, se prépare à un voyage en Suisse où elle compte s’installer quand elle sera guérie. Son mari, pris par son travail, se faufile dans les embouteillages et prend la direction de l’hôpital quand il le peut. Mais il y a aussi Win, le petit garçon, dont il doit assurer les trajets entre l’école, la maison, la chambre de sa mère.

    Difficultés de circulation, problèmes de voiture, aléas des transports en commun, escaliers à descendre, ascenseurs à emprunter, peur d’être en retard : 5b4fed4e49acd8ffb84e8a36b3819491.jpgle narrateur, malgré la fatigue, est fidèle aux rendez-vous avec Paule, qui tient tant à leurs conversations. L’a-t-il décidé ? Y est-il forcé ? Non, c’est un courant qui l’emporte, sans qu’il s’y oppose. Stéphane, l’ami qui l’a initié à l’alpinisme, se jouait de l’immobilité. C’était le maître du geste juste. Avec lui, l’élan du corps ouvrait sur une joie de vivre pleine et partagée. La guerre les a séparés. Quand il a appris la mort de Stéphane, dans des circonstances non éclaircies, il n’a eu de cesse d’en savoir plus, est reparti sur ses traces, sans se douter alors que c’est encore en mouvement, face à l’inéluctable, que ce premier de cordée avait lancé son dernier défi.

    Avec une superbe simplicité de ton, Bauchau  dit ce qui se meut entre les hommes, entre les femmes, entre les hommes et les femmes. Dans le mouvement de la vie.  « Ainsi nous vivons entourés, protégés par l’attention de quelques êtres qui nous sont peu à peu arrachés. »