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L'attentat

Quartiers d'été / Incipits

 

Loin, bien loin, au fin fond de la Deuxième Guerre mondiale, un certain Anton Steenwijk habitait avec son frère et ses parents en lisière de Haarlem. Le long d’un quai qui bordait un canal sur une centaine de mètres puis décrivait une faible courbe pour redevenir une rue ordinaire, quatre maisons se dressaient, assez rapprochées. Les jardins qui les entouraient, leurs balcons, leurs bow-windows et leurs toits pentus leur donnaient l’allure de villas, malgré leurs dimensions plutôt modestes ; à l’étage, toutes les pièces étaient mansardées. Elles étaient lépreuses et un peu délabrées car, même dans les années trente, on ne les avait plus guère entretenues. Chacune d’elles portait un de ces noms fleurant bon l’innocence bourgeoise propre à des jours moins troublés : Beau Site   Sans Souci   Qui l’eût cru   Mon Repos.

Anton habitait la deuxième maison à partir de la gauche : celle qui avait un toit de chaume. Elle portait déjà son nom quand ses parents l’avaient louée, peu avant la guerre ; son père l’aurait plutôt baptisée Eleutheria – ou d’un autre terme du même goût, mais écrit en lettres grecques. Même avant la catastrophe, lorsqu’il entendit parler de Sans Souci, Anton n’interprétait jamais ces mots comme exprimant l’absence de soucis, mais plutôt leur abondance : « cent soucis » - de même qu’une personne qui prétend vous recevoir « sans façon » fait généralement « cent façons », ce qui est exactement le contraire.

 

Harry MULISCH, L’attentat, Calmann-Lévy / Babel, 2001.
Traduit du néerlandais par Philippe Noble.

 

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