Simon au Japon, rime pauvre. Le titre choisi par Jeanne Benameur pour son dernier roman est infiniment plus poétique : La patience des traces (2022). Elle y raconte l’histoire d’un psychanalyste sur le point de quitter sa pratique ; il se pose plein de questions (comme le docteur Dayan de la série En thérapie que nous sommes nombreux à avoir suivie et appréciée).
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Cela commence avec un bol bleu en faïence qui lui a échappé des mains, celui dans lequel il boit son café du matin depuis des années, « le bol des pensées qui se cherchent, pas encore arrivées à la journée ». Cassé en deux morceaux qui s’ajustent parfaitement. Il y voit le « besoin de commencer un autre chemin. » Lui qui a écouté tant de paroles, en silence, humblement – « parfois guider d’un mot, rarement une phrase » – il aspire à une journée « rythmée enfin par autre chose que des choses humaines ».
Simon n’aime pas voyager. Au moment de s’installer, il a choisi l’océan pour patrie, celui des vacances d’été de son enfance. Au-dessus du bureau où il reçoit les patients, il a « sa tour » et son vieux fauteuil en cuir où réfléchir aux paroles qui flottent encore dans l’air. Une aquarelle naïve – « la terrasse, le ciel bleu dur, les bougainvilliers » – lui rappelle Louise, dont il s’est séparé. Le bol, son ami Mathieu qui le lui a offert.
A présent, il considère comme ses plus proches Hervé, son partenaire aux échecs, et depuis peu Mathilde Mérelle, « une jeune consœur installée dans la ville il y a un an » qu’il rencontre de temps à autre. Elle l’a invité dans un restaurant sur le port, il trouve sa compagnie agréable. Elle lui parle du Japon où son père est mort, un musicien. Elle aimerait aller dans ce pays sur lequel elle a beaucoup appris, mais ce deuil fait barrage. Simon l’écoute parler d’un livre reçu d’une amie sur des textiles anciens, des « costumes faits de tiges de plantes tressées, rebrodés », qu’il aura l’occasion de regarder chez elle.
Peu à peu l’idée de partir très loin a pris forme. Simon a dit à Hervé son « désir d’absolu dépaysement » et celui-ci lui a recommandé les îles Yaeyama : « Une végétation subtropicale et des traditions respectées. Un beau contraste. Et puis si tu veux marcher et nager, là-bas c’est le paradis. » On l’attend à l’aéroport pour le conduire dans le domaine tenu par Mme Itô Akiko, où il dispose d’une grande pièce ouverte sur un jardin. Son hôtesse collectionne les tissus anciens. Elle parle un français délicat (des études de lettres à la Sorbonne), son mari non.
La maison d’hôtes compte trois chambres, il est le seul à y séjourner en ce moment. L’accueil est raffiné : un bouquet sur la table, tout ce qu’il faut dans le réfrigérateur, une conversation autour d’un thé – dans une belle tasse rouge sombre qu’elle lui offre en cadeau de bienvenue. Dans sa chambre, il y remarque « un trait d’or qui sinue sur la céramique » et l’illumine.
Simon trouve dans cette maison la paix qu’il désirait, l’ombre des arbres sur la plage après avoir nagé, le temps de contempler le paysage. Avec lui, il a emporté « un livre et son carnet qui ne le quitte plus. » Il a écrit à Hervé et à Mathilde pour « leur assurer qu’il est fort bien » mais n’ouvre plus l’ordinateur portable mis à sa disposition. Ecrire dans le carnet lui fait percevoir un autre type de silence qui le laisse « suspendu entre deux mondes » et le pousse à écrire. Le mot « peur » va y faire son chemin en secret : « Se dire et accepter qu’il a peur ».
La patience des traces est un roman sur le ressenti d’un homme qui a passé plus de temps à écouter les autres qu’à entendre ce qui se passait en lui-même. La rencontre impressionnante d’une raie Manta en nageant, la compagnie discrète et attentionnée de ses hôtes quand ils dînent ensemble, quand Monsieur Itô l’accueille dans son atelier ou qu’Akiko lui montre sa collection de tissus, Jeanne Benameur le raconte avec des phrases simples, souvent courtes, séparées par des retours à la ligne qui sont autant de silences. C’est beau.
Loin de chez lui, Simon a rendez-vous avec lui-même, corps et âme, avec son passé, ses peurs, ses désirs. Il peut faire face à ce qu’il a tenu trop longtemps à distance. L’art japonais du Kintsugi, qui consiste à réparer des porcelaines ou des céramiques cassées en soulignant leurs fêlures par de la laque saupoudrée d’or, est une merveilleuse mise en abyme du roman.
Commentaires
Essayer de trouver un chemin vers soi-mème, loin de tout, de tous dans un cadre propice, le sujet que tu nous présentes est fort tentant.
Oui, oser accepter ses peurs...vaste sujet.
Bonne journée, merci
Un roman très dépaysant, une vision du Japon sereine, sans que ce soit mièvre. Bonne lecture si tu te laisses tenter, Colo.
cet art japonais est magnifique il me fait penser à la notion de résilience, une résilience pour l'art et les objets
Les rencontres entre Simon et son hôte qui pratique cet art sont très belles, bien qu'ils n'aient pas de langue commune.
j'aime ce que j'ai lu de Jeanne Benameur jusqu'à présent et ce titre-ci me paraît très bien aussi, comme tu en parles :-)
merci Tania!
As-tu un titre à me conseiller, en dehors de "Profanes" ?
Les demeurées
Titre aussi conseillé par Anne, tu confirmes - merci, Adrienne.
J'ai bien aimé ce livre, mais l'art du kintsugi si beau, à force d'en parler, devient banal. Je crois qu'il vaut mieux que ça, si belle métaphore de la réparation: ce qui est abîmé peut être beau, sublimé. Ce sont les fêlures, les accidents de la vie qui créent l'humanité. Dans ce livre encore, on parle de tissus anciens, ceux du Japon sont si sublimes!
Comme je viens de l'écrire plus haut, cet art que pratique le maître de maison est évoqué dans le roman sans être banalisé du tout. J'ignorais cette culture des tissus anciens que Simon découvre grâce à deux personnages féminins.
Merci pour ce commentaire que je partage completement, Comme d’habitude on abime les choses en les rendants à la « mode » ou les gens ne comprennent pas le vrai sens de la resilience dans le Kintsugi, je suis artisan kintsugi professionnel et bien cela puisse m’aider à faire connaitre cet art, ça le dessert aussi, très frenchi tout ça.
Votre commentaire s'adresse à Anne, je le ferai suivre.
J'ai lu avec intérêt vos explications de la technique, étape par étape : https://atelierkintsugitea.art/pages/the-art-of-kintsugi-discover-the-traditional-technique-step-by-step
J'ai aimé tout ce que j'ai lu de Jeanne Benameur, Je l'ai un peu négligée ces dernières années, celui-ci serait tout indiqué pour y revenir.
Bonne lecture si tu fais ce voyage aussi, Aifelle.
Bonjour Tania, moi qui n'ai jamais rien lu de Jeanne Benameur, tu me tentes et puis le peu que j'ai vu du Japon donne envie d'y retourner même si ce n'est qu'à travers'un roman. A l'heure actuelle avec le Covid, les étrangers n'ont toujours pas le droit de venir au Japon mais cela va s'arranger. Bonne journée.
Ce roman te plaira, j'espère.
Le Japon est plein de contrastes : j'entendais à la radio ce matin que les ventes d'alcool déclinent là-bas, les jeunes Japonais en consommant moins, et qu'on allait lancer une campagne pour les y inciter afin de rétablir le rendement de l'impôt !
PS, j voulais dire Tania, que l'art du Kintsugi depuis 2 ou 3 ans est devenu à a mode. quand on parle trop de quelque chose, au fond, il s'édulcore... sinon, le livre est bien. J'ai beaucoup aimé Les demeurées de J.B. , je le faisais en classe!!
Merci d'avoir explicité. De mon côté, j'en avais entendu parler mais sans plus.
Je note ce titre, premier roman de Jeanne Benameur écrit pour les adultes.
Comme il a l'air magnifique, ce livre ! Tu me donnes envie de le lire. Jeanne Benameur, c'est toujours d'une très grande qualité. Je le mets sur ma liste d'envies de la médiathèque. Merci.
Il me semble que tu y trouveras ton bonheur, Marie.
"Les demeurées", roman court et sobre comme est la relation viscérale de cette mère et sa fille m'avait impressionnée. Je retiens ce titre Tania ! Merci !
Merci à toi, Claudie. Je vais voir si ton blog a redémarré, sinon bonne reprise.
Une lecture magnifique, je l'ai tellement appréciée qu'arrivée à la fin du livre je l'ai relu une seconde fois, pour rester plus longtemps sur cette vibration. J'ai lu tous les écrits de cette auteure, il n'y a qu'un titre que j'ai moins apprécié, c'est "L'enfant qui", je l'ai trouvé sombre et pesant... mais ce n'est que mon ressenti de l'époque ! Douce après midi Tania, bises estivales. brigitte
A y réfléchir, je vois des affinités entre ton blog et l'univers de cette romancière, une grande attention à l'intériorité comme à la nature. Merci, bises.