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Silence

Pamuk Les nuits de la peste.jpg« Le silence de la peste, plus lourd et écrasant la nuit, régnait désormais sur la ville basse, aux jours sans vent envahie d’une odeur de mort, de cadavre et de chèvrefeuille. Les gens, terrés chez eux dans l’attente, derrière leurs portes verrouillées, ne parlaient plus qu’à voix basse. On n’entendait plus jamais le jet des ancres à la mer, le bruit des moteurs, le sifflet des bateaux à vapeur dont l’écho résonnait dans les montagnes, ni le tintement métallique des fers à cheval et des roues des voitures. Les lumières des hôtels du port, les lampadaires des quais et de l’avenue d’Istanbul ne brûlaient plus la nuit. Les contrebandiers opérant dans des criques lointaines, tous les haleurs, mariniers et aventuriers avaient déserté le port et la baie. Les descentes nocturnes dans les foyers des habitués des couvents avaient achevé de terrifier les habitants. Nombreux étaient ceux qui ne sortaient plus du tout la nuit. On n’entendait plus le bruit familier des calèches, des chars à bœufs et des phaétons qui luttaient pour traverser le pont ou grimper les raidillons des quartiers. Le soir, nul éclat de voix enjouée ou heureuse ne passait plus les portes fermées des maisons. Quelques cris joyeux, quelques rires d’enfants éclataient encore çà et là, mais le gazouillis familier avait disparu. Le silence était si profond que l’absence du son des cloches et du chant des muezzins n’en expliquait plus rien. »

Orhan Pamuk, Les nuits de la peste

Commentaires

  • Le silence que nous cherchons tant dans nos vies et qui là devient complètement anxiogène !

  • C'est tout à fait cela.
    Bonne journée, Aifelle. Enfin la pluie ici ce matin.

  • J'avais lu Le rêve de Machiavel, la peste à Florence et la figure de Machiavel. Intéressant (Christophe Bataille) Je n'ai encore rien lu d'Orhan Pamuk..........Une lacune que je dois combler?

  • Suite à mon commentaire, je suis allée chercher Le rêve de Machiavel, relu ce que j'avais annoté. Je te recopie ceci
    « Je prends Machiavel à ses mots. Je le prends au temps et à sa légende. J’en fais un homme. Je me sens libre comme Racine écrivant l’Enéïde. J’écris un roman sur la peur, la maladie, les rêves, le néant, un roman sur la pauvre science et la glorieuse astrologie »
    Pas mal ce bouquin!

  • Merci pour l'extrait, Anne. Je n'ai encore rien lu de Christophe Bataille. Et je suis restée un certain temps à distance de tout récit d'épidémie.
    Bien sûr, je te recommande Orhan Pamuk que je suis depuis des années. "Istanbul" est le premier titre dont j'ai parlé ici et, il me semble, une excellente porte d'entrée dans son œuvre.
    J'ai l'intention de relire "Mon nom est rouge" (un coup de cœur antérieur au blog).

  • Ps, le livre de C. Bataille est celui des 3 lus de lui qui m'a le plus plu. Mais ce n'et pas un livre "d'épidémie", même si la peste est présente partout, comme une métaphore un peu et pour cerner l'attitude de Machivel.

  • Merci pour ces précisions, c'est noté.

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