« Ce que l’intelligence nous rend sous le nom de passé n’est pas lui. En réalité, comme il arrive pour les âmes des trépassés dans certaines légendes populaires, chaque heure de notre vie aussitôt morte s’incarne et se cache en quelque objet matériel. Elle y reste captive, à jamais captive, à moins que nous ne rencontrions l’objet. A travers lui nous la reconnaissons, nous l’appelons et elle est délivrée. L’objet où elle se cache – ou la sensation puisque tout objet par rapport à nous est sensation – nous pouvons très bien ne le rencontrer jamais. Et c’est ainsi qu’il y a des heures de notre vie qui ne ressusciteront jamais. C’est que cet objet est si petit, si perdu dans le monde, il y a si peu de chances qu’il se trouve sur notre chemin. »
Marcel Proust, Les soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits (VII)
Commentaires
C'est magnifique et symbolique, très profond. Je suis sous le charme!
Toi aussi ?
on n'en finit jamais avec Proust
C'est cela.
j ai su toujours ça ( objets avez vous donc une ame ? ) et je vis entourée d objets pour lesquels j ai eu des coups de coeur et marcel proust l écrit divinement.
Alors cet extrait est exactement pour vous, Silvia.
Toujours magnifique, Proust!
Inépuisable !
Je vais m'exprimer familièrement mais c'est bien cela : j'en reste baba.
Une des pépites de ces 75 feuillets...