Etre ce que nul ne veut être,
– Ô, devenir de glace !
Sans savoir ce qui fut
Ni ce qui sera,
Oublier mon cœur qui se brisait
Et se recollait ensuite,
Oublier mes mots, ma voix
Et des cheveux l’éclat.
Oublier la turquoise ancienne
Qui ornait ma main –
Cette tige
Etroite et longue…
Oublier le petit nuage
Croqué de loin
Par le stylo de nacre
Saisi dedans la main,
Oublier mes jambes
Passant par-dessus haies,
Oublier mon ombre
Courant sur la route.
Oublier l’azur flamboyant,
Les journées de silence,
Les enfantillages, les orages –
Et tous mes vers aussi !
Mon miracle accompli
Chassera le rire.
Rose-éternelle, je serai
La plus pâle.
Et ne s’ouvriront pas – il le faut –
– Ô, pitié ! –
Ni pour l’aube ni pour un regard,
Ni pour les champs –
Mes paupières baissées.
– Ni pour les fleurs ! –
Ô, ma terre, pardonne-moi
Pour l’éternité !
Et les lunes fondront
Et fondra la neige,
Quand s’enfuira, charmant,
Ce siècle adolescent.
1913
Marina Tsvetaïeva, Le ciel brûle