Etre ce que nul ne veut être,
– Ô, devenir de glace !
Sans savoir ce qui fut
Ni ce qui sera,
Oublier mon cœur qui se brisait
Et se recollait ensuite,
Oublier mes mots, ma voix
Et des cheveux l’éclat.
Oublier la turquoise ancienne
Qui ornait ma main –
Cette tige
Etroite et longue…
Oublier le petit nuage
Croqué de loin
Par le stylo de nacre
Saisi dedans la main,
Oublier mes jambes
Passant par-dessus haies,
Oublier mon ombre
Courant sur la route.
Oublier l’azur flamboyant,
Les journées de silence,
Les enfantillages, les orages –
Et tous mes vers aussi !
Mon miracle accompli
Chassera le rire.
Rose-éternelle, je serai
La plus pâle.
Et ne s’ouvriront pas – il le faut –
– Ô, pitié ! –
Ni pour l’aube ni pour un regard,
Ni pour les champs –
Mes paupières baissées.
– Ni pour les fleurs ! –
Ô, ma terre, pardonne-moi
Pour l’éternité !
Et les lunes fondront
Et fondra la neige,
Quand s’enfuira, charmant,
Ce siècle adolescent.
1913
Marina Tsvetaïeva, Le ciel brûle
Commentaires
Un très beau poème ! J'aime beaucoup, image de tant d’adolescences, ces jambes passant par-dessus les haies .
"Les lunes fondront"...belle image qu'on espère restera image!!
Bonne journée Tania .
Ces jambes légères me plaisent beaucoup aussi et toutes ces choses non oubliées... Bonne journée, Colo.
Merci Tania pour ce merveilleux poème que j'ai lu avec bonheur.
Que ta journée soit belle.
Bisous ♥
Avec plaisir, Denise, à bientôt.
C'est une belle langue (et belle traduction) Une ambiance, un passé tout frais qui ressurgit; c'est beau et juste (juste beau!) au printemps naissant cela rafraîchit. On aimerait être plus légères (dans cette atmosphère pesante des médias!) et bondir par- dessus les haies et les contraintes: merci pour ce don du jour!
En note, Pierre Léon signale que Tsvetaïeva a supprimé en 1938-1939 les deux premières et la 4e strophe de la première version du poème. Voici la première strophe disparue :
"Etre tendre, furieuse et bruyante
- Ô soif de vivre ! -
Charmante, intelligente
Et adorable !"
une poétesse que j'aime particulièrement il y a beaucoup de livres sur elle mais les meilleurs sont les petits opuscules qui ne font pas parler d'eux
Comme celui-ci sur Mandelstam ? http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2017/10/26/mon-temps-mon-fauve-ralph-dutli-5993143.html
C'est une poétesse que j'ai déjà rencontrée et aimée.
Je ne peux m'empêcher de penser qu'elle écrit ce poème en 1913 - presque à la veille de la première guerre mondiale et juste 4 ans avant la révolution russe - dans un siècle "adolescent" qui sera tout sauf "charmant".
Bien observé, Claudialucia - elle y lancera ses mots et ses forces tant qu'elle pourra.
Ces mots traversent la toile de la vie de façon fulgurante, c'est très fort. Merci Tania, lumineuse journée. brigitte
N'est-ce pas ? Merci, Brigitte & bonne journée. Du brouillard ce matin, mais il finira par se lever.