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  • Avec Charles Juliet

    Les lecteurs du Journal intime de Charles Juliet le connaissent mieux que ceux qui, comme moi, ont découvert cet écrivain hors du commun à La Grande Librairie le mois dernier. Il a choisi lui-même des poèmes de 1990 à 2012 pour son Anthologie personnelle intitulée Pour plus de lumière. En ce jour le plus court de l’année, entrons dans l’hiver avec le poète.

    Juliet Pour plus de lumière.jpg

    Jean-Pierre Siméon commence ainsi « La conquête dans l'obscur », préface de ce Poésie/Gallimard : « Qui, une fois, a rencontré Charles Juliet ne peut pas ne pas avoir été frappé par ce trait dont on sent immédiatement qu’il n’est ni anecdotique, ni circonstanciel, ni véniel, dont on comprend, au rebours, qu’il est profondément constitutif : son extrême précaution devant la parole. »

    Ce qui frappe d’abord en lisant ce familier de la nuit, c’est son mal-être.

    « des milliers
    de fois

    tu es parti
    et revenu

    tu as frappé
    et guetté

    des milliers
    de fois

    tes yeux scrutaient
    a nuit tu t’emplissais
    de silence et tes mains
    restaient vides
    tandis que
    tu partais
    et revenais

    frappant
    et guettant

    tes yeux
    de plus en plus
    fiévreux

    tes lèvres
    toujours plus
    avides

    tes mains
    chaque fois
    plus lasses »

    (Affûts, 1990)

    Du sentiment d’être « hors jeu » dans cette vie qui lui échappe et l’écrase naissent des poèmes âpres, sombres, où il s’identifie davantage à ce qui meurt – feuille morte, bois mort – qu’à ce qui vit. Ecrire pour survivre :

    « accroché au flanc
    de la paroi

    c’est là que tu veilles
    interroges écris »
     

    Sa courte biographie à la fin du recueil dit sa naissance en 1934 à Jujurieux (Ain), son placement à trois mois dans une famille de paysans suisses, une école militaire de dix à vingt ans, puis l’Ecole de santé militaire de Lyon (où il vit) – études abandonnées trois ans plus tard
    « pour se consacrer à l’écriture ».

    « mes chemins mes mots

    tous mes chemins mènent
    à la faille
    dont ils m’ont éloigné

    tous mes mots
    conduisent
    vers un certain silence

    tous mes efforts et mes échecs
    vers cela qui interdit
    l’effort ignore les échecs

    mes mots et mes échecs
    mes chemins » 

    Vers libres, strophes courtes, petits poèmes en prose, tout chez Charles Juliet est brièveté. Pas d’exposé, plutôt des cris. Des textes très rythmés, d’autres comme balbutiés. Peu à peu, les ténèbres sont traversées d’éclats de lumière ; la faim et la soif font place au feu, voire à l’ivresse. Le poète fouille au plus profond de lui-même, dit ses peurs, ses manques, et parfois l’apaisement de la rencontre, la joie même.

    « février

    déjà ici
    le printemps
    triomphe

    jamais
    l’élan
    ne fléchit

    la faim
    ne s’apaise

    jamais
    ne vient
    le repos

    et comment
    vivre

    comment aller
    du labour aux moissons

    comment ne rien détruire
    et consentir à la soif

    être un jour cet amandier

    ne plus avoir
    à t’inventer un chemin »

    (Ce pays du silence, 1992)

    Ce sont poèmes de silences et de murmures, un apprentissage de l’échange :

    « savoir donner
    savoir recevoir

    être délivré
    de la peur

    découvrir enfin
    l’accord la confiance
    l’abandon »

    C’est surtout un travail sur soi :

    « Creuser. Fouiller. Désenfouir.
    Tirer au jour ce qui exige de venir à la lumière. »

    Pour plus de lumière : ce très beau titre donne le mouvement du recueil, d’une œuvre de poète retenue par l’obscurité née de l’exil : « Au commencement est la perte, violente, irréparable. Pour tous, cet arrachement à l’éden de la vie intra-utérine. (…) Mais on sait que pour Juliet, cette douleur primordiale est doublée d’une seconde, plus irrévocable encore : à trois mois, il est dépossédé de sa mère, dépressive, internée dans un hôpital psychiatrique où elle mourra bientôt. » (Siméon)

    « Je n’avais pas huit ans
    Tu es apparue ce jour de juillet
    où j’ai appris ta mort
    Avant ce jour
    j’ignorais que tu existais
    j’avais une maman
    qui m’aimait et que j’aimais
    et rien ne me laissait
    soupçonner que j’avais
    une autre mère
    Puis en quelques mots
    on m’a appris ton décès
    Je crois bien qu’à cet instant
    je n’ai rien éprouvé
    On ne peut ressentir
    de la peine
    en apprenant la mort
    d’une inconnue

    Mais je me souviens
    de ce qui a suivi »

    (L’opulence de la nuit, 2006)

    Cette belle anthologie de Charles Juliet fait découvrir le poète et l’homme, indissociables. La mère perdue, l’absente, l’inconnue, redeviendra source :

    « et ces mots qui te sont
    à jamais restés dans la gorge
    ils alimentent la source
    de ceux que j’ai engrangés
    pour toi dans mes livres »