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René Frégni, Provence

« L’automne en Provence est limpide et bleu, ce n’est pas une saison, c’est un fruit » : ces premiers mots en quatrième de couverture m’ont fait emporter en vacances Je me souviens de tous vos rêves de René Frégni. Sa bibliographie compte quatorze titres depuis Les chemins noirs en 1988, il était temps pour moi de le croiser.

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Pays de Nyons, septembre 2019

Septembre, le premier chapitre (Février sera le dernier), commence joliment : « Chaque année en septembre j’ai peur de mourir, alors j’achète un cahier. » Un cahier contre la peur, un cahier pour vivre. « Septembre est le mois des amandes, des noisettes, des noix. On n’a qu’à s’asseoir sur les talus et les casser entre deux pierres, ou remplir ses poches et les ramener chez soi, comme un écureuil. »

Vivre seul, vieillir, écrire : « C’est sans fin une route, comme les mots qui laissent une trace de pas dans la clarté de la page. » Dès les premières pages, Frégni, qui vit à Manosque, nous emmène avec lui dans les collines, les ruines, les villages qu’il traverse de bonne heure, sans voir personne. « J’aime retrouver mon enfance dans ces petites vallées aussi fraîches que des fontaines. »

Avant l’été, il s’était retrouvé avec d’autres dans le box des accusés, au grand spectacle de la justice où les prévenus n’ont qu’un rôle minuscule – « les vrais acteurs avaient tous une robe noire ». Un seul mot l’a libéré des humiliations et des interrogatoires : « relaxe ». Dans le nouveau cahier, il laisse entrer les souvenirs, les paysages, les silences.

Et nous voilà tout à coup à Banon, à lire avec l’auteur les lettres bleues sur la façade jaune au-dessus de la porte : « Librairie le Bleuet ». René Frégni a connu Joël Gattefossé avant qu’il devienne « l’un des plus grands libraires de France » et il nous raconte l’histoire « très belle et très triste » de cette « maison des livres ». Ou comment un « gamin difficile » devient un menuisier, perd ses parents, arrive un soir de mai dans le petit village de Banon, y voit en premier une fleur de bleuet, puis une minuscule boutique à vendre.

Les livres, les mots ont une place essentielle dans la vie de René Frégni, et aussi les femmes comme Isabelle, dont le visage l’embrase – « Plus je le regarde, plus j’écris. » Il a tant décrit le corps féminin qu’un lecteur lui envoie, dans une grande enveloppe, une photo des seins de sa femme (« Je les trouve tellement beaux ! Il faut que vous en parliez dans votre prochain roman ! ») On connaît donc ses obsessions, malgré sa vue basse.

« J’aime les grands espaces de lumière que fait jaillir l’automne. Si quelqu’un partait des granits de la Bretagne et cheminait vers la Haute-Provence [à l’inverse de Sylvain Tesson dans Sur les chemins noirs], il marcherait en dormant. La France est un doux vallonnement de vaches et de clochers. Brutalement ce marcheur se cognerait aux dentelles de Montmirail, au mont Ventoux ou à la montagne de Lure. Tout le monde se réveille à Malaucène ou à Nyons. »

Quel bonheur de suivre René Frégni en Provence, d’en rencontrer les paysages et les gens, de lire toutes ces choses auxquelles il donne vie avec les mots – « un véritable enchantement » (Bonheur du jour). Des lectures, des dents cassées, la pauvreté, la faim, des matins, des midis, des soirs, le chemin parcouru. « J’ai travaillé pendant seize ans avant de me lancer dans l’écriture, pendant seize ans, j’ai eu la sensation qu’on me volait ma vie, mon temps. J’appartenais déjà au petit peuple discret des chambres d’hôtel et des greniers. »

Au fil des jours d’automne et d’hiver, on découvre un homme qui a appelé « Baumette » un chaton recueilli en prison, sauvé d’une chute, et qui se souvient de tout ce qu’ils ont vécu ensemble après qu’une chute fatale les sépare dix ans plus tard. « Le ciel est bien trop petit aujourd’hui pour contenir tous les nuages. Avec mon bol de café, que je remplis souvent, je vais d’une fenêtre à l’autre. Je parle à ma mère, à mon chat. / Au début, je craignais qu’on ne m’entende derrière l’un de ces murs, à présent je prends du plaisir à faire les questions et les réponses. »



Je me souviens de tous vos rêves est l’hommage à la vie d’un homme sensible à tous ces riens qui font tenir debout, qui mènent d’une journée à l’autre. C’est le récit au petit bonheur la chance de ce qu’il voit, entend, perçoit, le jour et la nuit, quand sa mère lui rend visite dans ses rêves. « Je me souviens de tous vos rêves est un poème, sculpté dans une langue pure et raffinée telle de la porcelaine, qui éloigne l’ombre de la mort et rappelle que la beauté se trouve en chaque chose, chaque être vivant, chaque instant de vie, même les plus simples. » (Anahita Ettehadi)

Commentaires

  • un auteur lu depuis longtemps mais jamais chroniqué ! peut être parce qu'il fait partie de mon petit Panthéon personnel que je n'ai pas toujours envie de partager Ohhhhhhh

  • Cet écrivain, cet homme m'a touchée. Peut-être pourras-tu me conseiller d'autres titres de lui, en dehors de ses romans policiers ?

  • Ce livre m'a donné envie de continuer à le lire.

  • J'aime beaucoup ce qu'il écrit et, bien évidemment, je ne peux qu'être sensible à ce qu'il dit de la Provence qu'il évoque dans tous ses livres. Tout à l'heure, alors que tout était ouvert dans ma maison et que le soleil entrait à flots, que le ciel était bleu, j'ai pensé à ce mot qu'il emploie et que tu cites : limpide.
    Bonne journée.

  • Chère Marie, merci pour ton ciel de ce matin. L'automne a installé chez nous une atmosphère brumeuse et humide qui me rend nostalgique de la lumière provençale.
    Je pense lire "Les chemins noirs", as-tu d'autres titres de René Frégni à me recommander ?

  • À te lire il semble que ce ciel limpide d'automne soit le même qu'ici, les amandes et tant d'autres choses.
    C'est avec plaisir que je l'ai réécouté/vu dans LGL, merci Tania.

  • C'était si gai de le lire dans cette région dont il parle si bien.

  • Bonne lecture, Anne. Tu y trouveras à glaner, je pense.

  • Je ne connais pas du tout mais la mise en bouche que tu en donnes me convainc que je ne serais pas déçue... J'aime la "gloire" des histoires simples...

  • J'espère que tu ne le seras pas - ce soir un extrait pour compléter.

  • Bonne lecture, Keisha.

  • Je ne le connais que de nom et je m'en faisais une fausse idée je crois. Ton billet me le fait noter tout de suite ; je connais la belle librairie bleue où j'ai passé un bon moment le jour où je suis allée à Banon.

  • Tu avais parlé de cette belle librairie ou tu l'avais montrée, je m'en souviens - d'une ampleur si étonnante dans un village !

  • Merci, Claudie.

  • Tania! Cette photo me fait penser à une auberge douloureuse du musée d'Orsay - Route blanche de Provence de Cyrille Besset (1891).
    Merci beaucoup.

  • Je ne connaissais pas ce peintre, merci, Jane & à bientôt sous votre Blue Lantern. J'ajoute le lien vers cette peinture : ttps://fr.wikipedia.org/wiki/Cyrille_Besset#/media/Fichier:Besset-route_blanche.jpg

  • J'ai toujours bien aimé les livres de Frégni mais ses plus récents me touchent plus. La fiancée des corbeaux qui a cette phrase de Giono en exergue : Le soleil n'est jamais aussi beau qu'un jour où l'on se met en route.
    Bonne journée !

  • Merci pour la belle citation - enfin du soleil ce matin sur Bruxelles. Je retiens ce titre. Bonne journée, Marie !

  • Ton article me parle, Tania et je t'en remercie. Je retrouve dans ce texte tant de choses connues... dont la librairie "Le Bleuet", que je n'ai pas revue depuis le départ de son fondateur. "Tous ces riens qui font tenir debout", c'est le bonheur n'est-ce pas ?

  • C'était une jolie surprise pour moi aussi de retrouver dans ce livre la fameuse libraire de Banon où nous avons fait halte un jour et de lire son histoire. La réponse est oui.

  • Quelques-un lus au printemps 2017, j'avais emprunté une petite série de Fregni :
    Tu tomberas avec la nuit /L’été / Sous la ville rouge /Les chemins noirs/
    Le dernier titre est celui que j'ai préféré car pas trop évident.
    J'y reviendrai peut-être avec des œuvres plus récentes !

  • Grand merci pour ces titres, K. A bientôt.

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