« La Guilde [Co-operative Women’s Guild] organisait des week-ends de formation ou des sessions de conférences à Londres ou dans d’autres grandes villes comme Manchester ou Leeds, et j’y allais souvent pour parler des impôts, des affaires étrangères ou de l’Empire colonial. En apparence, il n’y avait rien de commun, qu’il s’agisse de la façon de penser, de vivre au quotidien, entre l’épouse d’un ouvrier du textile du Lancashire ou d’un mineur de Durham et une habitante d’un village cinghalais. Et pourtant, je pense que les jours, les semaines, les mois, les années que j’ai passés à échanger avec ces personnes qui m’étaient étrangères, les hommes et les femmes de Kandyan, des rizières, de la jungle de Hambantota, m’ont aidé à comprendre et entrer véritablement en contact avec Mrs. Barton et Mrs. Harris. C’est une erreur de dire que les gens pauvres et primitifs sont plus « réels » que les gens riches et sophistiqués, qu’il y a davantage de « réalité » au Congo ou dans une mine de charbon qu’à Cambridge ou Cavendish Square. Mais ces gens qui vivent à nu, sans protection à la fois physique et mentale, démunis et complètement vulnérables aux catastrophes, acquièrent une sorte de simplicité cristalline, une lucidité réaliste qu’on peut lire dans leurs regards qui, pour moi, avaient un charme et une force esthétique et humaine d’une grande qualité. A Ceylan, je pense que j’ai beaucoup appris en passant du temps assis sous un arbre à parler avec un villageois ou une vieille femme – et à les écouter me répondre. Cela m’a permis de parler vraiment avec toutes les femmes du Mouvement. Et je n’étais pas mécontent lorsque l’une d’elles, après une heure d’une conférence sur les impôts, venait me voir pour me dire : « Vous êtes le seul gentleman que nous comprenons lorsqu’il nous parle. »
Leonard Woolf, Ma vie avec Virginia
Photo de couverture : Virginia et Leonard Woolf en juillet 2012 (détails)
Commentaires
je me demande s'il faut le voir comme un joli compliment ou comme une confirmation d'une idée qui perdure encore aujourd'hui, que l'intelligence des femmes n'est pas faite pour certaines matières ;-)
Leonard Woolf est un féministe convaincu. Je pense que cette dernière phrase est un compliment de la part de ces travailleuses qui n'avaient pas fait d'études mais cherchaient à s'instruire (Virginia elle-même n'a pas eu droit aux études à Cambridge, mais a bénéficié de l'éducation et de la bibliothèque paternelles.)
C'est un beau compliment je trouve ; tant de gens dans sa situation utilise un langage inintelligible au commun des mortels, toujours aujourd'hui.
Tu as raison, et ce n'est pas nécessairement un signe d'intelligence ;-).