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La neige en juin

Non, ce ne sont pas les caprices de la météo, c’est une lecture étrange, un beau soir de juin sur la terrasse au soleil couchant, sous un ballet d’hirondelles : Un lac immense et blanc de Michèle Lesbre. 

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70 pages précédées d’une citation de Pavese : « Seul l’hiver est la saison de l’âme… » Une femme qui n’est plus jeune a gardé l’habitude du café brûlant pris sur le zinc, rituel de passage entre ses nuits et ses jours. Au Café lunaire, elle ne parle avec personne, elle observe. Les mains déjà fripées d’un jeune homme. Les gestes du serveur au rythme de la musique en sourdine.

Ce matin, Edith Arnaud, « assistante », a cédé à une impulsion : au lieu d’aller au bureau, attendre le train de 8h15, celui que prend chaque mercredi un Italien qu’elle écoute mine de rien, à chacun de ses passages, parler de Ferrare avec le serveur – mais il n’y était pas. Raté aussi le rendez-vous avec le corbeau du Jardin des Plantes, fermé. Au jeune gars qui lui demande ce qu’elle fait dans la vie, elle ne répond pas, se demande si ôter le bonnet qui cache ses cheveux blancs suffirait, mais il insiste et elle finit par évoquer ses habitudes chamboulées – « alors je tente de m’adapter », ce qui le fait éclater de rire.

Trottoir gelé, flocons. Elle a oublié ses gants quelque part, dans le bus ou sur le comptoir, garde les mains en poche. Dans tout ce blanc surgit le souvenir d’Antoine, de sa voix disant « Un lac immense et blanc ! Un lac immense et blanc ! » A peine sortis de l’adolescence (il y a des dizaines d’années), ils étaient quatre inséparables : Lise, Jean, Antoine et elle. « Je divague entre le présent provisoire et tout ce blanc atemporel. »

Elle aime depuis toujours la complicité apparente des bars, et ce qui l’a touchée, dans les conversations en italien au Café lunaire qu’elle a suivies sans intervenir, c’est d’y retrouver « Ferrara » où elle a vécu. Quand elle écoute lItalien en parler, elle y est. Dehors, dans la neige, un autre souvenir s’impose, celui de la ferme où on l’avait mise en pension pour se refaire une santé, et cette nuit où elle avait rouvert les volets, enjambé la fenêtre et couru dans les champs tout blancs. « Je crois en la force des lieux », a dit Michèle Lesbre dans un entretien.

Le corbeau du Jardin des Plantes, qui s’est posé un jour sur le dossier du banc  où elle était assise, est revenu un autre jour, elle lui a donné à manger. Il neigeait aussi quand elle a pris le train de Milan à Ferrare pour chercher les traces d’un cinéaste, Bassani. Elle y a résidé dans un vieux couvent, par économie.

« Je réinvente ma vie dans le désordre en mélangeant les temps, les lieux, les êtres chers, mais c’est tout de même ma vraie vie. » Antoine, « tout de suite aimé » pour sa fougue et son désir de justice, dans les années soixante, disparu dans la décennie suivante, sans explication. La mobilisation, les tracts, les événements, les changements… Et puis le silence.

Quelques notes au piano, dans un immeuble : elle reconnaît la sonatine de Diabelli, revoit des images de Moderato Cantabile avec Jeanne Moreau. Sur un quai, elle ouvre C’est corbeau de Jean-Pascal Dubost. Il n’y a presque rien dans Un lac immense et blanc. Avec ces riens, Michèle Lesbre livre la journée d’une femme qui se souvient, qui regarde, qui écoute – sa solitude habitée. Encore une de ses femmes qui marchent sans renoncer à voir, à vivre.

Commentaires

  • Je l'ai beaucoup aimé celui-là, au climat étrange en effet, mais un peu comme tous les romans de Michèle Lesbre. "Ecoute la pluie" le dernier est arrivé à la bibliothèque, je vais l'emprunter dès que possible.

  • J'ai relu ce que tu as dit de "Sur le sable", à découvrir encore pour moi. Oui, Michèle Lesbre a un ton bien à elle, une musique particulière à laquelle je suis sensible. Bonne journée, Aifelle.

  • Chère Tania, vous étiez dans la Drôme (je viens de lire votre ode à l'amitié), j'étais sur les routes, une fois de plus et me suis arrêtée quelques jours en Bretagne pour rendre visite à une amie. Partout, la pluie et de retour sur ma colline, la pluie, diluvienne hier et fine mais persistante aujourd'hui. Aussi le titre m'a-t-il semblé vraisemblable. Lu "le canapé rouge". Souvenir d'une écriture "blanche".

  • Bonjour, Zoë. Désolée de vous savoir sous la pluie - c'est votre jardin qui engrange. Les nuages sont revenus sur Bruxelles, mais pas encore la pluie : les après-midi sont agréables, on peut s'asseoir dehors.
    L'écriture de Lesbre est sobre, juste, sans sécheresse : "J'apprenais la solitude, je m'y déployais dans un champ nouveau de liberté et de désir que la ville embellissait encore."

  • Une auteure vantée souvent par Aifelle et que je retrouve ici avec plaisir, je l'ai ajouté aux auteurs à découvrir dans les mois qui viennent

  • Je découvre cette auteure que vous appréciez. À retenir: j'aime les textes courts. Merci pour les nombreux liens.

    Un peu de technique: je découvre que sur ce blog de Lalibre les liens affichent une bulle indicative du contenu sous le curseur: je trouve cela pratique, je suppose que c'est vous qui définissez les termes de la bulle ?
    Je ne vois pas l'équivalent chez overblog, jusqu'ici.

  • Voilà, j'ai vu sur overblog comment un titre peut être associé à un lien. Le lecteur peut donc choisir s'il ouvre un nouvel onglet. Votre blog m'a inspiré, merci !

  • Je vois que vous avez trouvé votre réponse. Ici, quand je veux insérer un lien, trois champs sont proposés d'office : l'adresse url, la cible (même ou nouvelle fenêtre) et le titre (facultatif). Bonne journée, Christw.

  • Merci, petit Belge, les serres royales sont si belles qu'on y retournerait volontiers chaque année.

  • Je ne connais pas moi non plus cette auteure; ton billet et les nombreux liens me séduisent, merci!
    Loin de la neige, voilà l'été arrivé sur mon île, belle journée à toi aussi!

  • Je la suis depuis "Le canapé rouge", je t'en souhaite bonne lecture un jour ou l'autre.
    L'été à Mallorca/Majorque ? Qu'il soit splendide et plein de bons moments pour toi, Colo.

  • une découverte pour moi, je ne connais pas cette auteure, mais je pense qu'elle me plaira

  • Vous êtes douée Tania pour nous donner envie . J'ai eu entre les mains "Boléro" mais je ne l'ai pas encore lu . Alors je promets je retourne illico à la bibliothèque pour l'emprunter ainsi qu'un "lac immense et blanc".
    Et pourtant je dois faire partie des rares personnes qui n'aiment pas la neige car j'ai l'impression qu'elle efface tout et cela m'angoisse .Je vais donc essayer de comprendre ( et peut-être de guérir).
    Très bonne journée Tania

  • Ah, Gérard, Michèle Lesbre fait aussi votre conquête ? Je n'ai pas encore lu "Boléro" ni aucun de ses premiers romans, que c'est gai de remonter ainsi le temps écrit.
    Pour vous, cette phrase du "Lac" : "Une neige sinon heureuse, au moins fidèle aux premières émotions enfantines, à ce qu'elle génère chaque fois en moi, la sensation fugitive d'une sorte d'éternité."

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