A l’écart des grandes expositions, dans les académies, de jeunes artistes travaillent, cherchent, réinventent. C’est aussi là que bat le pouls de l’art d’aujourd’hui. Marie-Pierre Deltombe expose à Molenbeek-Saint-Jean, à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale, jusqu’au 21 décembre.
Sans titre © Marie-Pierre Deltombe
Cette architecte bruxelloise, née en 1971, dessine depuis toujours. Depuis le début des années 2000, elle peint régulièrement. Du travail sur papier, elle est passée à l’huile sur toile et montre ici un ensemble très original, du cousu peint, si j’ose dire. Ses toiles, souvent carrées, sont des assemblages de bandes et de morceaux découpés dans des toiles précédentes qu’elle ne trouvait pas abouties. Elle les coud ensemble, à la machine, à la main, et parfois repeint, recoud – et ce « recyclage » ouvre d'autres perspectives.
Il faut les regarder de près pour entrer dans ces microcosmes, labyrinthes où le temps est à l’œuvre : après celui de la créatrice qui a patiemment découpé, composé, accordé, l’œil du spectateur peut à son tour parcourir les allées et les impasses, s’arrêter aux reprises, toucher les reliefs. « Chaque bout de toiles découpées est la capture d'un instant déjà passé, un moment dépassé qui n'a plus lieu d'être, prêt à devenir le commencement d'autre chose. » (Florence Marchal) Coutures mécaniques ou effilochées, petites pièces superposées, fils apparents, la main est partout à l’œuvre.
Sans titre (zoom sur un détail) © Marie-Pierre Deltombe
Paul Klee compte-t-il parmi les influences de Marie-Pierre Deltombe ? De loin, son sens de la couleur et du rythme m’a parfois fait penser à certaines compositions du peintre allemand. « De la musique avant toute chose… » Mais ces créations jouent aussi les paysages vus du ciel, rues et canaux parallèles, villes imaginaires avec leurs pleins et leurs vides, leurs zones de lumière et d’ombre.
Sans titre (détail) © Marie-Pierre Deltombe
C’est graphique dans une série de toiles où les verticales dominent, c’est parfois lumineux comme un vitrail (Sans titre numéro 10, ci-dessous) grâce à l’intensité des couleurs qui se glissent entre les noirs et les blancs, grâce aux courbures, aux formes qui s’interpénètrent avec leurs coutures sombres comme des plombs.
Sans titre (diptyque) © Marie-Pierre Deltombe / Photo Yvan Eygenraam
Une petite série de toiles montées sur un cadre plus épais comportent une ou plusieurs ouvertures surjetées, troublant l’effet linéaire. Les couleurs chaudes, organiques, y dominent, de l’orange, du brun. Dans la plus grande, des gris et des bleus se croisent, carrefour aux teintes minérales, atmosphère nocturne. Dans l’obscurité, des cratères, des lignes fines captent la lumière : fils et points forment des lueurs intersidérales.
Sans titre (140 x 140) © Marie-Pierre Deltombe / Photo Yvan Eygenraam
Un diptyque : des feuillages, comme aperçus entre les bois d’une palissade. Des verts plus sombres pour « Une forêt », à l’entrée de la cafétéria (CAFET’ARTS à repérer sur le plan de la maison). Les tables-vitrines montrent la manière dont procède Marie-Pierre Deltombe ; elle y a posé des tubes de couleurs et des bobines de fil, des montages, les pièces du puzzle. C’est là qu’est accrochée en face du comptoir la plus grande toile (140 x 140). De larges bandes blanches, horizontales, y alternent avec des espaces finement compartimentés et très travaillés : harmonie sereine et joyeuse à la fois, superbe.
Commentaires
"Du cousu peint" le titre est génial.
Ce n'est pas la peinture que je préfère mais j'y vois beaucoup de rythme et de santé , comme des chaînes ADN très colorées et très joyeuses. la plus grande toile me fait penser à ces étagères recouvertes de volumes de toutes sortes.C'est du grand art.
Décidément vous avez dû vous faire le mot avec Colo et son très beau billet sur les "couseuses".
Très bonne journée Tania
Sourires en lisant le titre! Non,Gérard, nous ne nous étions pas consultées!
Un instant passé, déjà dépassé, en voie de futur...comme un présent donc, un présent coloré, rythmé, sur le chemin d'autres horizons.
J'aime beaucoup le diptyque, son mouvement et ses nuances.
Belle journée, à bientôt.
je souris moi aussi comme colo, entre le cousu peint de Tania, les couseuses de Colo et le de fil en aiguille chez moi, on pourrait croire à un club pour faire la fortune des merceries :-)
Autre coïncidence : j'ai assisté hier à un film sur la peinture murale, c'était passionnant et je retrouve ici non quelque chose d'identique mais ce même souci, cette même recherche des formes et des couleurs
@ Gérard : Le titre s'est imposé à moi dès l'exposition, cela arrive parfois. Heureuse que vous ressentiez le dynamisme de ces oeuvres et que vous aimiez aussi cette grande toile devant laquelle je suis restée scotchée. (Un tour chez Colo et Dominique s'impose avant de continuer.)
@ Colo : Sourires aussi en ouvrant ces commentaires, jolie coïncidence !
@ Dominique : Heureusement, la blogosphère est un club mixte. A quand un billet sur les couseurs ?
C'est un travail original. C'est le genre d'oeuvre qui me fait regretter de ne pas pouvoir toucher la matière, elle y invite.
Ce genre de travaux qui s'apparente à la décoration ne me passionne pas particulièrement. Même si j'y reconnais un véritable talent créateur.
Et puis dimanche, c'est la fête des couturières...
D'ores et déjà, un bon week-end Tania.
@ Aifelle : Tout à fait, c'est mon impression aussi.
@ Christw : Je n'y vois pas du tout une démarche décorative, pour ma part. L'élaboration de ces toiles nouvelles ne vise ici ni la décoration ni la joliesse, mais une véritable création. Les structures sont complexes, chaque oeuvre est un microcosme. (Il ne s'agit pas simplement de coudre.)
Bonne fin de semaine, à vous aussi.
En effet, ce n'est pas le moins du monde décoratif !! j'y vois de la lumière, des vitraux joyeux, des cartes de ville, des étagères qui croulent... cela fourmille et bouge et j'imagine que de les voir en vrai permet davantage d'apprécier les reliefs. J'essayerai d'y aller, merci pour l'info !
Colo et toi, suivriez-vous des contraintes communes?
J'avoue que le terme décoratif a une connotation péjorative mal adaptée à ce que je voulais exprimer.
Mais je n'y vois pas grand chose, simplement parce que je ne suis pas sensible à ces travaux. Ne voyez aucune forme de dédain dans celle allusion à la couture.
@ MH : Oui, la photo lisse les reliefs et tout ce qui tient l'oeil en mouvement. Tu verras si tu y vas.
@ La bacchante : Nullement, toujours une folle liberté, tandis que tu te dépatouilles avec les contraintes (presque aux deux tiers, mazette !)
@ Christw : En effet, le terme est réducteur (et la décoration n'est pas toujours "art décoratif"). Merci pour votre franchise, Christw.
Ce qui me frappe, c'est que l'art ne se limite plus à un seul aspect de la création, ici la peinture: l'artiste coud aussi
On voit cette tendance depuis de nombreuses années au théâtre: textes il y a mais aussi parfois, danses, mimes, cinéma...
J'aime cette alliance de moyens d'expression...ils se complètent l'un l'autre
Oui, Coumarine, j'aime aussi cette diversité des langages, des techniques, et cette audace nécessaire dans la création. Bon week-end.