Avec Ensor et Verhaeren / 3
http://lettres-histoire.info/lhg/Art/XXe_James_Ensor.htm / Flacon bleu et poulet, 1880
« O le merveilleux morceau ! Une table grossière supporte un poulet plumé, minable, douloureux, dont le cou pend dans le vide et dont la chair aux tons verdâtres inquiète. Largement, par-ci par-là, à coups de couteau, la couleur est étendue. La main qui construit et peint avec une telle solidité, avec une telle prestesse semble déjà celle d’un maître. Et l’œil qui voit et qui précise le ton magnifique de la bouteille connaît déjà toute la force et la rareté d’un ton. Certes, la composition est absente : ce n’est qu’un morceau amoureusement traité ; ce n’est qu’in coin de cuisine montré sous un éclairage propice, mais que de vie lumineuse, que de splendeur, que d’éclat ! Aucune nature morte célèbre ne s’interpose ici entre l’œuvre et l’admiration du passant. Tout est neuf, spontané, patent, définitif. Où donc a-t-il été éduqué le regard qui voit ces pauvres et quotidiens objets comme personne ne les a vus jamais ? »
Emile Verhaeren, Sur James Ensor (1908), Complexe, 1990.
Ensor, Fleurs ou Les roses, 1892, MRBAB, Bruxelles
Commentaires
Quelle lumière dans le premier tableau, quelle simplicité et quelle présence... Verhaeren emploie les mots justes : "tout est neuf, spontané, patent, définitif". Merci !
On ne sait lequel il faut admirer le plus : le peintre qui nous « tord » les yeux avec son flacon dur sur une table de planches taillées à la hache … et le poulet verdâtre, le cou lamentablement pendant … avec son bec si triste … mais alors le texte de Verhaeren, quel régal … on « redécouvre » cette peinture avec les mots … : Il est le peintre des mots …
Merci à Tania de mettre ces deux « génies » en parallèle …
Verhaeren est un immense poète mais je ne trouve pas que la composition est absente dans le tableau d'Ensor. Je la définirais même comme rythmique-dynamique à trois éléments. C'est le sujet (l'association poulet-bouteille bleue) qui est insolite. Et il ne serait rien sans cette étrange forme cylindrique rouge sang qui bascule dans l'image à contresens. Étonnant tableau !
Absolument d'accord avec Euterpe !!!
Comme quoi, chacun a sa vision d'une oeuvre suivant sa sensibilité ... et son état d'esprit ... : Verhaeren ... ainsi qu'Euterpe ... et MH ... !
@ Doulidelle
Verhaeren est un enthousiaste, son écriture en témoigne et j'adhère entièrement à sa vision "exaltée" ainsi qu'à la vôtre. J'épouse sa "sensibilité et son état d'esprit" face à cette oeuvre.
Mais la composition est bien présente (la forme rouge est capitale) c'est un constat.
Sauf qu'ici elle est différente de la composition classique de la majorité des natures mortes de l'époque; elle se présente comme "neuve, spontanée, patente et définitive", c'est d'ailleurs ce qui en fait "un morceau amoureusement traité".
L'un n'empêche pas l'autre, simplement la critique n'avait pas encore les yeux pour le voir alors que Verhaeren, sans s'en rendre compte... le découvre et s'en émerveille.
Qu'oserais-je ajouter après le texte de Verhaeren ? rien du tout. le bleu du flacon est merveilleux.
c'est vrai Aifelle, et la verdeur du poulet n'augure rien de bon... Par contre, je hume le parfum des roses jusqu'ici, légèrement framboisé, grisant, entêtant, aussi doux que la caresse des pétales.