Pause printanière / 2
Or, quelques minutes à peine après que le petit pianiste avait commencé de jouer chez Mme Verdurin, tout d’un coup après une note haute longuement tenue pendant deux mesures, il vit approcher, s’échappant de sous cette sonorité prolongée et tendue comme un rideau sonore pour cacher le mystère de son incubation, il reconnut, secrète, bruissante et divisée, la phrase aérienne et odorante qu’il aimait. Et elle était si particulière, elle avait un charme si individuel et qu’aucun autre n’aurait pu remplacer, que ce fut pour Swann comme s’il eût rencontré dans un salon ami une personne qu’il avait admirée dans la rue et désespérait de jamais retrouver. A la fin, elle s’éloigna, indicatrice, diligente, parmi les ramifications de son parfum, laissant sur le visage de Swann le reflet de son sourire. Mais maintenant il pouvait demander le nom de son inconnue (on lui dit que c’était l’andante de la sonate pour piano et violon de Vinteuil), il la tenait, il pourrait l’avoir chez lui aussi souvent qu’il voudrait, essayer d’apprendre son langage et son secret.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann – II. Un amour de Swann
(Turner, Musique en société)
Commentaires
Le tableau est magnifique. J'ai toujours dit que je gardais Proust pour mes vieux jours .. je peux commencer maintenant.
Merci pour ces pauses proustiennes, pour cette magnifique "phrase aérienne et odorante".
Et comme Aifelle...ce tableau!
"Bruissante et divisée", la phrase et le tableau...
Quelle bonne idée de nous donner des passages de Proust à lire, on le lit si peu.
Mais c'est cette toile de Turner qui possède un "charme si individuel qu'aucun(e) autre n'autait pu la remplacer..." Quelle magnifique association.