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Voyages de Yourcenar

Marguerite Yourcenar – Le bris des routines, c’est le beau titre choisi par Michèle Goslar, qui dirige à Bruxelles le Centre International de Documentation Marguerite Yourcenar, pour présenter des textes choisis dans son œuvre et surtout dans sa correspondance, ainsi que des inédits, publiés dans la collection Voyager avec… La formule est inspirée de son Hadrien : « Peu d’hommes aiment longtemps le voyage, ce bris de toutes les habitudes, cette secousse sans cesse donnée à tous les préjugés. » (Mémoires d’Hadrien)

 

Fille de Michel Cleenewerck de Crayencour, un Français, et de Fernande de Cartier de Marchiennes, une Belge devenue française par alliance, Marguerite Yourcenar fait dire aussi à Hadrien : « Mes premières patries ont été des livres. » Elle qui a beaucoup voyagé, née en Belgique en 1903 mais française, demande la nationalité américaine en 1947, sous le nom officiel de Yourcenar. Trois ans plus tard, elle s’installe à Petite Plaisance avec Grace Frick, sur l’Ile des Monts-Déserts dans le Maine. Elle y résidera près de quarante ans. 

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« N’ayant pas fréquenté l’école, la jeune femme se forme par les livres, les visites de musées, les spectacles et les déambulations dans les villes fréquentées. (…) Le monde est, pour elle aussi, un livre qui bouge, un libre univers qui offre ses énigmes », écrit M. Goslar. Dès Alexis ou le vain combat, elle situe des faits contemporains « dans un cadre spatio-temporel passé », sans doute par volonté de distance romanesque. « Quel est le prisonnier qui consentirait à mourir sans avoir fait le tour de sa prison ? » demande Zénon (L’œuvre au noir).

 

Yourcenar visite tout au long de sa vie une vingtaine de pays. Elle prend des notes dans ses carnets, avant ou après, livre ses impressions dans sa correspondance, se laisse guider sur place : « J’ai dû chacun de mes goûts à l’influence d’amis de rencontre, comme si je ne pouvais accepter le monde que par l’entremise de mains humaines. » (Feux) Mais elle retourne fréquemment dans une ville pour la découvrir seule, après une première visite accompagnée.

 

L’Europe, l’Amérique, l’Afrique, l’Asie : c’est l’ordre choisi dans cet ouvrage pour recenser les textes de la voyageuse. Sévère envers Bruxelles « où la passion d’acquérir et le snobisme du nom et du titre sévissent comme nulle part ailleurs », Yourcenar ne l’est pas moins pour la Belgique, selon elle « une fiction administrative de 1830 ». Après s’être souvenue de Baudelaire à l’église Saint-Loup à Namur, elle se rend pour la première fois sur la tombe de sa mère au cimetière de Suarlée en 1956 : « sa tombe ne m’attendrissait pas plus que celle d’une inconnue dont on m’eût par hasard et brièvement raconté la fin » (sa mère est décédée des suites de l’accouchement peu après sa naissance).

 

Les photographies d’enfance au Mont-Noir, où Yourcenar reconnaît ses animaux de compagnie (le basset Trier, l’ânesse Martine, l’ânon Printemps, la chèvre Esmé et son mouton lavé tous les samedis), lui rappellent de nombreux souvenirs qu’elle rapportera dans Quoi ? L’Eternité, le dernier tome inachevé de sa trilogie Le Labyrinthe du monde. Quand elle découvre le Midi de la France, elle trouve cela « très beau » : « ce que je trouvais très beau, c’étaient surtout les ruines, le sentiment du temps qui avait passé et qui permettait de juger, de décanter en quelque sorte les événements du passé. » (Les Yeux ouverts) Et en Angleterre, « L’avenir n’a pas d’ombres portées, sans quoi je saurais que je reviendrai vivre dans ce pays quelques instants inoubliables » (la rencontre de Grace Frick et celle de Jerry Wilson, son compagnon de voyage après la mort de Grace) (Quoi ? L’Eternité)

 

Plus que l’Italie et l’Espagne – elle relate sa visite à Viznar du site où Garcia Lorca a été fusillé, dans une lettre à la sœur du poète – c’est la Grèce qui la séduit, où elle aurait aimé se fixer. « Les collines calcinées de la Grèce – Le cap Sounion au couchant – Olympie, à midi – Des paysans sur une route de Delphes, offrant pour rien à l’étrangère les sonnailles de leur mule – La messe de la Résurrection, dans un village d’Eubée après une traversée nocturne, à pied, dans la montagne » : voilà, note-t-elle, ce qu’elle aimerait revoir au moment de mourir.
« La connaissance du monde est sans doute le seul bien qui soit inaliénable, puisque la vie ne peut que l’augmenter, et que la mort même ne nous l’enlèvera que lorsque nous ne serons plus. » (En Pèlerin et en étranger)

Impressions lumineuses de la Scandinavie, déception à Saint-Petersbourg, « une interminable ville façade », où le seul grand souvenir d’un trop court séjour est « le service du dimanche à la cathédrale Saint Nicolas ».  Dans mon prochain billet, je reviendrai sur les voyages de Yourcenar hors d’Europe. Il y a tant à lire et à relire dans Le Bris des routines, qu’illustrent de très belles photographies noir & blanc de Carlos Freire.

Commentaires

  • Il faut reconnaître, sans chercher à blesser qui que ce soit, que Suarlée est un village dont la ruralité a été plus que déformée par la construction d'un fort de la ceinture de Namur. Le cimetière lui-même en garde la marque guerrière...

  • Yourcenar... comme vous en parlez bien. Voyager avec elle, si cultivée et découvrir de belles photos en même temps, cela me paraît très très tentant, merci pour l'info !!

  • Merci infiniment pour cette superbe « approche » et synthèse d’un ouvrage traitant de l’œuvre et de son auteur, Marguerite Yourcenar, autodidacte qui « n’a pas fréquenté l’école », mais qui marqua magistralement la littérature non seulement française mais aussi universelle

  • Visiter, "accepter le monde ... par l’entremise de mains humaines." Se laisser guider, puis s'y lancer seul(e).

    Superbe billet; on attend le suivant avec impatience.

  • Yourcenar, l'oeuvre au noir, lu dans ma jeunesse. Les extraits et la présentation que vous en faites donnent envie de se replonger dans l'univers de cette femme extraordinaire grâce à cet ouvrage. merci

  • Ce billet va finir de me convaincre, cet collection de récits et lettres de voyage est superbe et j'ai aimé pratiquement toutes les parutions
    Je savais Yourcenar grande voyageuse, les voyages prennent une grande place dans sa biographie
    j'attends avec impatience ton prochain billet

  • J'ai commencé la biographie de Marguerite Yourcenar par Josyane Savigneau, mais à mon grand désappointement, elle m'est tombée des mains. J'aurai peut-être plus de chance avec ce genre d'ouvrage. (viens faire un tour chez moi aujourd'hui, il y a quelque chose pour toi).

  • Quel bel article.
    J'ai lu Marguerite Yourcenaar, il y a longtemps. Peut-être l'occasion de la relire.
    Son jugement sur la Belgique est sévère, mais dans quel contexte l'a-t-elle émis ?

  • Merci à tous pour vos commentaires !
    Chère Aifelle, merci beaucoup - la réponse est chez toi, sur "Le Goût des Livres".
    Chère Mado, c'est dans le commentaire de Michèle Goslar à propos de "La Belgique des origines inavouées" que j'ai trouvé, citées sans explicitation, ces deux formules de M.Y. sur Bruxelles et sur la Belgique. Un chapitre nourri surtout de passages des "Souvenirs pieux", à lire, à relire.
    Dans son introduction, M. Goslar écrit: "Grande voyageuse, Marguerite Yourcenar ne se reconnaissait pas de patrie. Elle s'en attribuait une douzaine, sans plus de précision." Elle lui prête aussi "une certaine horreur des villes".

  • Merci beaucoup pour ce commentaire. Vous me donnez très envie de "voyager" en compagnie de M. Yourcenar.

  • belle faim d'écrire la joie de lire les dires de cette grande voyageuse des mots. Merci.
    "Il n'est pas étonnant que ces jardins de contemplation soient devenus pour nous le parfait miroir [...] où tout l'univers tient dans une feuille qui tremble ou dans une grenouille qui plonge dans l'eau...."
    (page 242)

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