Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Lire avec Virginia

Comment lire un livre ? « Avant toute chose, je voudrais signaler la note interrogative à la fin de mon titre », déclare Virginia Woolf au début d’une conférence dans une école privée pour jeunes filles en 1926. « Même si je pouvais répondre à la question pour ce qui me concerne, la réponse ne s’appliquerait qu’à moi, et non à vous. Le seul conseil, à vrai dire, qu’on puisse donner sur la lecture est de ne pas suivre de conseils, de se fier à son instinct, de faire usage
de sa raison et de tirer ses propres conclusions. »

 

A Comment lire un livre (2008), second tome du Commun des lecteurs (The Common Reader) traduit par Céline Candiard pour L’Arche, il manque ce point d’interrogation. Les quatorze pages du texte éponyme, à la fin du recueil, sont un joyeux appel à la liberté du lecteur – « Partout ailleurs des lois et des conventions peuvent nous contraindre – mais pas ici. » Woolf y sème des balises : éviter les idées préconçues (« Ne donnez pas d’ordre à l’auteur ; efforcez-vous plutôt de vous mettre à sa place »), allier une « grande finesse de perception » à l’audace d’imaginer. Et après toutes les impressions recueillies, « attendons que la poussière de la lecture retombe, que les conflits et les interrogations disparaissent ; marchons, parlons, enlevons à une rose ses pétales mortes, ou dormons. »
Alors seulement viendra le temps de juger et de comparer.
 

Corcos Vittorio Matteo Conversation au parc du Luxembourg.jpg

 

La géniale Anglaise est une sorcière des mots. Comment fait-elle pour m’amuser autant à lire ses études et ses articles sur des écrivains anglais que je n’ai pas lus pour la plupart, des romanciers, mémorialistes, femmes éprises d’indépendance, poètes ou penseurs ? Avec Virginia Woolf, l’esprit est à la fête grâce à une prose rythmée, dansante, parfois tranchante, à ce registre original qui transforme le sérieux d’une réflexion en conversation de bonne tenue, spirituelle, où les idées ne sont jamais loin des choses les plus concrètes, les plus charnelles, bref, de la vie.

 

Les entrées en matière sont irrésistibles, les chutes souvent sublimes – « et quand nous disons qu’Harvey vécut, cela signifie qu’il eut des disputes, qu’il fut assommant, ridicule, qu’il lutta, qu’il échoua, qu’il eut un visage semblable au nôtre : un visage changeant, variable, humain. » (Les Elizabéthains, ces étrangers) La lecture est un combat solitaire, rappelle-t-elle après s’être intéressée à la biographie de Daniel Defoe. « Car il reste avant tout le livre lui-même. On aura beau se contorsionner dans tous les sens, s’attarder et tourner autour de lui, c’est une bataille solitaire qui nous attend au bout du compte. » (Robinson Crusoé)

 

On apprend donc à lire avec les yeux mais aussi avec les oreilles, à découvrir la perspective choisie par un écrivain, à reconnaître un chef-d’œuvre, tout en faisant connaissance avec des Anglais plus ou moins illustres que Woolf excelle à portraiturer, nourrie par la lecture gourmande de leurs biographies ou de leurs correspondances. On comprend pourquoi « une fille portant un petit sac de satin vert » est plus importante pour Sterne qu’une cathédrale (Le Voyage sentimental), comment un graphomane « finit par disparaître comme dans un nuage de mots » (La soirée du Dr Burney), dans quelles circonstances Virginia W. aurait pu commettre quelque inconvenance dans « l’ardeur maladroite » de son admiration (« Je suis Christina Rossetti »). 

 

« Derrière la fusillade fantasque de la presse », il existe une autre sorte de critique, « l’opinion de gens qui lisent par amour de la lecture, lentement et avec plaisir ». – « Puis soudain son récit lisse vole en éclats, de nouvelles perspectives s’ouvrent, et l’on a la vision soudaine de quelque chose qui ne cesse de s’envoler, de s’échapper, et le temps s’en trouve suspendu. » (L’Autobiographie de Thomas De Quincey). En refermant cet essai, je me dis qu'il fait partie de ces livres qui, écrit Virginia Woolf, ont sur nous « un effet similaire à celui de la musique »

Commentaires

  • Décidement nos lectures vont sur les mêmes paturages, j'ai feuilleté hier soir les deux volumes de W Woolf et relu la biographie de Agnès Desarthe et Geneviève Brisac, je viens d'écouter en me balladant pendant ces jours de beau temps : Mrs Dalloway

  • « La lecture est un combat solitaire » « … on apprend à lire avec les yeux mais aussi avec les oreilles … » c’est vrai que la lecture est une mélodie solitaire qu’on porte en soi dans des accords de mots qui s’envolent en phrases … quelle richesse que cette association de sons, de beauté graphique et d’évocations subtiles ou incongrues … mais tellement suggestives …

    Avant de lire un texte, il est agréable, en premier lieu, de parcourir le paragraphe que l’auteur a décidé de nous livrer, pour cueillir quelques « mots-fleurs » ou « bouts de phrase » qui s’imposent à l’esprit sans comprendre … Ensuite la lecture n’en devient que plus alléchante, ornée de trouvailles qui méritent cette double attention ...

  • Emile Claus qui vous tient à coeur célébrait la nature. Face à l'extension des villes et nourri par ses discussions avec Verhaeren, peut-être pressentait-il qu'elle serait un jour en péril.
    Et ici Virginia Woolf sème des balises de lecture, elle insiste sur le temps à prendre. A sa manière elle est également visionnaire.
    Vous en parlez très bien et ce tableau est ravissant, merci !

  • que voilà un monument auquel il faudra un jour que je m'attaque
    votre billet en tout cas invite à la lecture

  • Une autre incursion dans leur univers:

    http://pivoineblanche7.canalblog.com/archives/virginia_woolf__vanessa_bell___bloomsbury/index.html

  • Je commence la lecture de son "Journal". Contente de la retrouver sur votre blog.

Écrire un commentaire

Optionnel