Pour l’amie qui me les a fait connaître
En refermant La fille du Cannibale de Rosa Montero (La hija del caníbal, 1997), on se rappelle la réponse de Lucía Romero, son héroïne anagrammatique, au vieux voisin qui lui vient en aide après l’enlèvement de son mari. Elle l’interroge sur sa vie et remplit leurs tasses de café en disant : « Ce que j’aime le plus au monde, c’est une bonne histoire. »
En écoutant récemment la journaliste et romancière madrilène sur France Inter, à propos de son dernier roman, on l’avait déjà compris : c’est avant tout une conteuse. Pleine de verve et d’ironie, Montero s’adonne allègrement au plaisir des mots et des formules. Il n’en manque pas dans ce récit rocambolesque où une femme dans la quarantaine (ce qu’elle commente à loisir) et sans enfant - « fille sans filles » - se voit réclamer une énorme rançon par une organisation inconnue. La police ne lui est pas d’un grand secours ; en revanche, le vieux Felix et le jeune Adrián qui font irruption dans sa vie vont l’assurer de leur présence, de leurs conseils, de leur affection même. Quant au mari kidnappé, son sort et ses activités secrètes révéleront bien des surprises.
Pourquoi Lucía se dit-elle fille d’un cannibale ? On l’apprend dans une des innombrables histoires qui jonchent le roman. Chaque personnage a la sienne, du moins celle qu’il croit sienne, puisque « nous sommes tous subjectifs, il n’y a pas d’autre réalité que celle que nous complétons, traduisons, modifions avec notre regard. » Et à leurs aventures extravagantes se mêle, souvent par l’anecdote, l’histoire de l’Espagne au vingtième siècle.
Montero déroule l’intrigue dans une espèce de jubilation à écrire, maniant l’humour, la dérision, voire le sarcasme : « Dans l’hallucination de l’amour, nous sommes tous stupides et éternellement jeunes. » « Grandir, c’est se perdre et se trahir. » « La vie est un trajet long et fatigant. » Pour décrire l’humeur poétique d’un jour de printemps, elle n’hésite pas à forcer la note : « J’ai l’impression, dit son héroïne, que des feuilles pourraient pousser au bout de mes doigts. » En lisant La fille du Cannibale, on ne s’ennuie pas.
Cette Lucía porte le même prénom qu’une autre journaliste et romancière espagnole contemporaine, Lucía Etxebarría. Aime-moi, por favor ! (Una historia de amor como otra cualquiera, 2003) rassemble une quinzaine de nouvelles dédiées entre autres « à toutes les femmes qui se sont confiées à moi pour raconter leurs histoires ». A la première personne le plus souvent, chacune raconte ses malheurs ou ses trop rares bonheurs amoureux. Basées sur des faits réels, ce sont des variations sur les difficiles relations entre les femmes et les hommes, entre les amants. Ces histoires abordent sans ambages les réalités les plus crues, abus sexuels, milieux interlopes, drogues et dépendances, jusqu’aux troubles de la personnalité dits « borderline ». Un univers qu’on pourrait trouver excessif, mais Etxebarría se défend de noircir le trait dans une postface intitulée « La réalité dépasse la fiction (quelques mises au point de l’auteure) ».
Pourquoi rapprocher ces romancières ? Dans des registres différents, ces deux conteuses espagnoles d’une volubilité époustouflante, remportent un grand succès populaire, la preuve que la fiction romanesque a de beaux jours devant elle. « Mais moi, affirmait la fille du cannibale, je suis persuadée que l’art primordial est celui du récit, parce que pour pouvoir exister, nous les humains, nous devons d’abord raconter. L’identité n’est pas autre chose que le récit que nous faisons de nous-mêmes. »
Commentaires
"Dans "L'Art de raconter", Dominique Fernandez, dernièrement élu à l'Académie française, fait l'éloge du roman à travers une longue fresque dédiée à ceux qui l'ont le mieux servi. On y retrouve l'Arioste, Alexandre Dumas, Daniel Defoe, Stevenson, Dostoïevski, Dickens, Stendhal, Georges Simenon et tant d'autres. Mais avant de dédier un chapitre à chacun de ces grands romanciers, Dominique Fernandez explique pourquoi le roman représente l'expression la plus achevée de l'art de raconter.
Dans un chapitre liminaire intitulé "Le Mentir/vrai", il met le lecteur en garde face au risque d'égarement de nos sens et de notre intelligence nous amenant à confondre vérité et réalité.
"Raconter", écrit-il, "ne consiste pas à reproduire la réalité, mais à mentir sur la réalité ; à retrouver, derrière ce qu'on croît être la réalité, la vérité des êtres et des choses." (extrait du blog de Jean- Marc Bellot
C'est vrai, j'aime les histoires, je les écoute et les lis avec beaucoup d'attention, peut-être pour deviner le vrai derrière la fiction. Merci pour ce post amie.
Peut-être faudrait-il essayer de trouver le livre de D.Fernandez, non?
Je partage, bien sûr, cette adhésion au "mentir/vrai" de la fiction. Les non lecteurs sont souvent, sans doute, ceux qui n'entrent pas dans ce jeu.
Ravie que tu aies apprécié et enrichi cette note, et ajouté une référence sur ma liste "à lire".
Bonsoir,
L'auteur très féministe ( très espagnole et très journaliste serait sans doute plus juste ) a un style bien à elle et j'ai lu ce livre assez court mais ce n'est pas mon préféré.
Mon préféré : Un miracle en équilibre qui a obtenu si je ne m'abuse l'équivalent du Goncourt en Espagne.
Par contre je me suis forcée à finir Ce que les hommes ne savent pas, recueil de nouvelles très érotiques et je n'ai pas du tout mais pas du tout aimé.
Bonne soirée