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Huis clos

  • Mensonge

    besson,l'arrière-saison,roman,littérature française,hopper,nighthawks,huis clos,peinture,culture« Louise est soulagée d’avoir prononcé le mot. Mensonge. A la fin, ce dont elle fait grief à Stephen, ce n’est pas de l’avoir quittée : après tout, c’était son droit. Non, c’est de lui avoir menti, de l’avoir flouée, manipulée peut-être, de lui avoir dissimulé d’abord ce qui survenait dans sa vie à lui, de l’avoir sciemment minimisé ensuite quand il s’est agi de passer aux aveux, d’avoir protesté de sa bonne foi alors que son insincérité était accablante, de s’être engagé à mettre un terme au désordre qu’il avait lui-même provoqué, de lui avoir enfin laissée nourrir des espoirs qu’il n’a jamais concrétisés. Elle aurait horriblement souffert, bien entendu, d’une rupture brutale qu’elle n’aurait pas vue arriver mais moins, infiniment moins, que de cette affreuse agonie, que de ce chemin de croix pavé d’humiliations. »

    Philippe Besson, L’arrière-saison

  • L'arrière-saison

    Par quel titre aborder Philippe Besson, souvent écouté lors de ses passages à La Grande Librairie mais jamais lu ? Une bibliothécaire m’a recommandé L’arrière-saison (2002), un de ses premiers romans. Et je suis donc entrée dans le tableau d’Edward Hopper sur la couverture, Nighthawks (Les rôdeurs de la nuit, selon la traduction de l’éditeur). Quatre personnages vus de la rue, dans un café éclairé : un homme et une femme au comptoir, un serveur, un autre homme vu de dos.

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    Edward Hopper, Nighthawks, 1942, Art Institute, Chicago

    Le romancier en avait mis une reproduction chez lui et un soir, il a observé « la femme en rouge de la peinture, assise au comptoir d’un café nommé Phillies, entourée de trois hommes » et ressenti « l’envie impérieuse » de raconter leur histoire (quatrième de couverture). Le roman s’ouvre dans un café à Cape Cod sur un sourire, « un sourire de presque rien, qui pourrait être le signal du bonheur. »

    Décrite à la troisième personne, voici Louise, dans « la robe rouge qu’elle affectionne », où elle se sent bien, « encore belle, encore désirable ». Ben, le serveur, « ne la regarde plus depuis des années ». Il la connaît, ils sont non pas amis mais « de connivence ». « Ainsi, ils n’oublient jamais de raconter que Louise est entrée pour la première fois chez Phillies le jour exact où Ben y entamait sa carrière de serveur, il y a neuf ans de ça maintenant. »

    Dans le café désert « comme à l’habitude, le dimanche soir », en attendant l’homme qu’elle aime, Norman, « Juste Ben et elle. Et la lumière par la baie vitrée, la belle lumière de septembre. – On a de belles arrières saisons, vous ne trouvez pas ? » Il lui sert un Martini blanc, c’est ce qu’elle boit toujours, et ils parlent de tout et de rien, de Phillies, la patronne, et ce soir de la pièce de Louise Cooper qui ouvre la saison théâtrale à Boston. « Auteur reconnu », elle en écrit une sixième pour l’instant. Ben à qui Louise envoie chaque fois un carton d’invitation s’intéresse au théâtre à cause d’elle, il n’y va que pour ses pièces.

    Louise voulait d’abord devenir comédienne, mais à vingt-six ans, « elle s’est rendue à l’évidence : elle ne serait jamais une actrice reconnue. » A présent elle a pris sa revanche, et la voilà comblée : « elle travaille pour le théâtre, elle gagne bien sa vie, la critique est généralement élogieuse. » Norman, lui, est « comédien de toutes ses fibres, et jusque dans ses hystéries, ses jalousies, ses élans amoureux. Il ignore la tiédeur. » Elle est tombée amoureuse de lui « à la première réplique de la première répétition » d’« Un matin à New York » où il tenait le rôle principal.

    « La lumière décline un peu dans le café : derrière la baie vitrée, des nuages ont fait leur apparition et voilent imperceptiblement le soleil du soir. Les arrière-saisons ont parfois quelque chose de déchirant. » Louise attend Norman, mais c’est un autre homme qui fait tinter la porte d’entrée et au regard surpris de Ben, Louise se retourne. C’est Stephen Townsend, « un revenant », le seul qui appelle Ben par son prénom complet, Benjamin. Elégant, distingué, Stephen a du charme. Elle remarque qu’il ne porte plus de lunettes.

    L’arrière-saison raconte ce qui se passe entre ces trois personnages. Louise et Stephen ont été en couple pendant cinq ans, « Ben les a connus au temps de leur « splendeur ». » Puis Stephen a épousé Rachel, ils ont deux enfants. C’est la première fois qu’il revient chez Phillies depuis tout ce temps. Louise apprend bientôt que Stephen s’est séparé de sa femme.

    Philippe Besson décrit leurs gestes, leurs silences, leurs souvenirs qui alimentent la conversation, l’arrivée du vieux Carter qui vient toujours boire une bière en remontant du port avant de rentrer chez lui. Il y a de la tension dans l’air, forcément, des comptes à régler. Ben les observe, il joue son rôle. Pourquoi Stephen est-il revenu dans ce café où il savait trouver Louise ? Comment va-t-elle réagir ? Et si Norman pouvait arriver enfin, prouver que Louise n’est plus une femme seule ?

    Ce huis clos respecte les trois unités du théâtre classique (temps, lieu, action) et change de point de vue avec chacun des personnages. Les paroles sont brèves, le récit en explore les raisons intimes, les effets, l’impact relationnel. Une soirée, une attente, un imprévu – L’arrière-saison, c’est l’histoire d’un tableau où le désir circule, sans qu’on sache où il va aboutir.

  • Dits et non-dits

    Des courtisans de Molière aux personnages d’Alice Ferney dans son roman Les autres (2006), tout change et pourtant je suis tentée de les rapprocher. La conversation en occupe le cœur, et la deuxième partie intitulée « Choses dites », entre « Choses pensées » et « Choses rapportées », prend la forme de dialogues que j’imaginerais bien sur une scène.

    Pour fêter les vingt ans de Théo, fiancée et amis se retrouvent dans la maison de famille et bon gré mal gré, se lancent dans un jeu, le cadeau de Niels, le frère aîné, à son cadet qui n’aime pourtant pas les jeux. Mais il accepte la proposition, curieux de découvrir ce que l’autre a en tête. Avec un plaisir visible, Niels réussit à les entraîner dans une espèce de jeu de la vérité, Caractère, qui propose toutes sortes de questions personnelles, voire intimes, à poser à ses partenaires. A jouer entre gens qui se connaissent, susceptibles s’abstenir.

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    La première partie présente les dix protagonistes tour à tour, dans de courts monologues où ils réagissent intérieurement à ce qui se passe ce soir-là, pendant la partie. Moussia, la mère, est la moins disposée à s’y prêter. Sa propre mère, Nina, passe sa dernière nuit dans leur maison avant d’entrer dans un service de soins palliatifs, et de plus, Moussia connaît ses fils, redoute leurs chamailleries. « Je n’aime pas être au milieu des autres quand je souffre. Etre au milieu des autres, quelle illusion. On n’imagine jamais assez loin à quel point on est seul à vivre sa vie. »

    C’est Théo, en se plaignant de la tyrannie des regards sur soi - « Les autres, ils prétendraient pour peu nous dire qui nous sommes… », - qui fait clairement le lien avec Huis clos. Alice Ferney a choisi pour son roman le titre initial prévu par Sartre pour sa fameuse pièce (« L’enfer, c’est les autres »). Ella a aussi donné à la fiancée du jeune homme le prénom d’Estelle, une Estelle à l'opposé de celle de Sartre et dont le prénom renvoie à une question de circonstance : « est-elle ? »

    Le lecteur entre donc dans le jeu, bien forcé, lui aussi. Il y a des embarras, des pudeurs, des rosseries et des vexations, inévitablement. « Est-ce la gêne d’être ce qu’ils sont qui mène les hommes au magasin des masques ? » s’interroge Fleur. « L’identité est changeante, soumise aux situations et aux protagonistes. » se dit Estelle. Quant à Niels, le maître du jeu, convaincu d’être intouchable, il ne manquera pas non plus de tester sa vulnérabilité.

    Derrière tout ce qui est dit, autour de la table de jeu, les non-dits provoquent des tensions. Entre les deux frères, un vieux contentieux. Entre Fleur et son fiancé, des malentendus. Quant à Marina, la jeune mère célibataire, elle pousse Niels dans ses retranchements, affronte carrément son égocentrisme. Les secrets bien gardés jusque-là affleurent, avec leur cortège de souffrances. Plusieurs se décident à les livrer, pas tous.

    Comme le dit Nina à sa fille, « Nous sommes dans le désert de la méconnaissance […] et c’est pure folie d’attendre des autres qu’ils nous comprennent ou, pire encore, qu’ils nous connaissent. » Dans une construction romanesque très originale, dont on pourrait croire un moment qu’elle mène à la répétition – trois versions d’une soirée, trois genres textuels -, Alice Ferney donne la parole à des personnages attachants, varie les points de vue, et nous propose une réflexion plus profonde qu’il n’y paraît sur les rapports humains, dans le croisement des voix.