« Le peintre l’avait cherchée, la couleur absolue, l’avait cajolée, mais jamais sous sa forme pure, jamais la couleur non bigarrée. La pureté ne l’a jamais séduit. Il multiplie les intrusions, y glisse subrepticement de fines stries et fibres sanglantes, des boucles et de tendres loopings, de minuscules fleurs mauves, des veinules bleues, comme si chaque vêtement blanc était une peau somptueuse. Cela lui rappelle doucement la couleur aimée du lait.
Le col, les poignets de chemise de l’idiot du village ? Le surplis de l’enfant de chœur, le tablier des pâtissiers de Céret et de Cagnes, la robe de cérémonie de la petite communiante ? Sa Femme au Bain, les jupons blancs remontés bien haut, absorbant en eux tous les reflets de l’eau et toutes les couleurs ? L’apogée de la couleur absolue non bigarrée ! N’y a-t-il pas un tableau de Rembrandt qu’il aime particulièrement, et qu’il imite avec envie ? Hendrickje se baignant dans une rivière. Une femme qui entre dans l’eau et remonte sa robe blanche, découvrant ses cuisses. »
Ralph Dutli, Le dernier voyage de Soutine
© Chaïm Soutine (1893-1943), Femme au Bain, vers 1931,
huile sur toile, 113 x 72,5 cm
Commentaires
L'uni pur viendra ensuite, par exemple avec Mondrian. Soutine effectivement, c'est strié, parcheminé; cela donne une vraisemblance. Ensuite, ce ne sera plus le but de l'art.
Certains cherchent la juste couleur, d'autres (beaucoup!) la lumière.........
Il me semble que Soutine cherche surtout à rendre ou à produire des sensations, sa peinture est comme un combat avec la matière picturale. Bon week-end de Pâques, Anne.
En continuant à réfléchir hier, je me demande si ce n'est pas à Céret que j'avais vu une expo, il y a une bonne dizaine d'années. Très intéressant l'extrait.
Je n'ai jamais visité Céret qui a attiré tant de peintres, j'aimerais beaucoup découvrir aussi son Musée d'art moderne. Joyeuses Pâques, Aifelle.
Remarquable description ! De beaux mots pour raconter une peinture que je n'aime pas, précisément pour cette "impureté" de la couleur, que j'ai toujours perçue comme "sale"...
Ce n'est pas un peintre de la netteté, j'en conviens. "Devant un tableau de Soutine, pas de demi-mesure, pas de sentiment mitigé, il reste l’objet inclassable qu’il était pour ses contemporains suscitant le rejet ou l’admiration." (Marie-Paule Vial, directrice du musée de l’Orangerie)
Merci pour ton passage & bon dimanche de Pâques.
De quoi penser à la note bleue !
Merci pour cette note, K. Bon dimanche !
Un artiste à l'existence tourmentée que traduisent ses coups de pinceau. Je ne le connais pas bien et vos billets sont l'occasion pour moi d'approcher sa vie et ses peintures. L'idéal serait de lire le livre de Dutli qui, parait-il, est remarquablement traduit.
Un bon dimanche pascal, Tania.
L'idéal serait une visite au musée de l'Orangerie... Merci, Christw & bon lundi de Pâques malgré la pluie.
Effectivement quelle similitude entre Rembrandt et Soutine pour le sujet, la femme au bain, et quelle différence dans le traitement ! J'aime beaucoup les deux !
J'ai été ravie de découvrir cette toile grâce à ce roman - et cette comparaison.
Bonjour
je vous remercie pour votre beau blog,
je vous adresse un sonnet que j'ai consacré à la lecture ( vous le re trouverez sur mon blog: Effleurements livresques, épanchements maltés - Overblog http//holophernes.over-blog.com/ Lundi 12 Avril),
Comme un lecteur imparfait de mots, détourné par l’attirante oisiveté
qui telle une vieille maîtresse créée trop
d’illusions et supplante la vérité,
moi aussi berné par mon assurance,
et la volupté d’une compréhension
rapide, mes yeux lisent avec indolence,
sans nulle part trouver de solution.
Et les livres, que j’ai souvent si mal lus,
sont à jamais comme les mondes étranges
où moi lecteur suffisant je n’ai pu
retrouver le sens des mots de l’ange.
Mais il arrive parfois le temps exquis,
où l’auteur et moi sommes en harmonie.
Bonnes lectures...
Mermed
Merci pour votre poème, Mermed. Bonnes lectures & écritures.