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  • A Istanbul

    « Mevlut était depuis vingt ans à Istanbul. […] Il aimait les habitants de ces anciens immeubles à haut plafond, équipés d’ascenseurs et de radiateurs, construits il y a un demi-siècle alors qu’il était encore au village, voire avant sa naissance ; et il n’oubliait pas que ces gens étaient ceux qui se comportaient le mieux envers lui. Mais ces anciennes bâtisses stambouliotes lui rappelaient toujours qu’il était étranger à la ville. Comme, involontairement, les concierges de ces vieux immeubles le traitaient avec le plus grand mépris, il craignait constamment de commettre un impair. D’un autre côté, il aimait les choses anciennes : l’atmosphère des cimetières qu’il découvrait au hasard de ses déambulations dans les faubourgs quand il vendait de la boza, les murs de mosquée couverts de mousse, les indéchiffrables inscriptions ottomanes sur les fontaines publiques aux becs en laiton définitivement asséchées et hors d’usage.

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    Parfois il trouvait insensé de travailler autant pour tout juste gagner de quoi manger alors que tous ceux qui déboulaient en ville s’enrichissaient, acquéraient des biens, des maisons et des terrains, il se disait que la vente de pilaf ne rapportait rien en réalité, mais que ne pas savoir se satisfaire du bonheur que Dieu lui accordait serait de l’ingratitude. Il en avait rarement l’occasion mais, parfois, il comprenait au vol des cigognes que les saisons avaient passé, que l’hiver était terminé, et il sentait que, tout doucement, il vieillissait. »

    Orhan Pamuk, Cette chose étrange en moi