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Un arbre généalogique

L’homme qui observe ses semblables dans le métro, un soir d’automne, le narrateur du roman Etat limite de Pierre Assouline, est généalogiste. Tanneguy de Chemillé l’a invité à la soirée qu’il donne pour fêter l’établissement de son arbre généalogique. François-Marie Samson, l’œil curieux, est attentif aux moindres détails en pénétrant dans leur immeuble du square Albinoni, préférant l’escalier à l’ascenseur pour se rendre au cinquième étage où il est attendu.

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Le viaduc de Passy et le métro aérien, où débute Etat limite (source YouTube)

Avec l’impression de marcher dans une page du Figaro, celle du « Carnet du jour », il découvre cette famille française fière de son ascendance. Le fils de Tanneguy et Inès de Chemillé, un adolescent, reste à l’écart de ces réjouissances, le regard plongé dans la contemplation d’un splendide tapis d’Aubusson. Sixte s’avère assez excentrique aussi dans la conversation, brillant élève, souligne sa mère, pour qu’on le laisse tranquille, expliquera le jeune homme.

De la porte-fenêtre, la vue sur la station de Passy, le pont de Bir-Hakeim, le métro aérien va jusqu’à l’autre côté de la Seine où Samson loue un deux-pièces depuis sa séparation d’avec Agathe. La ligne 6 qu’il vient d’emprunter, sa ligne, relie le XVe où il habite et le XVIe des Chemillé dont il envie un peu « la durée, la pérennité, la continuité ». Son regard revient sur les invités et surtout sur la gracieuse Inès, en passant par le décor où ils se tiennent : « Rien qui sentît l’effort, chez les personnes non plus que dans les lieux. »

Invité à rester après le départ des autres, Samson fait la connaissance de son hôte, 51 ans, « grand serviteur de l’Etat » au Quai d’Orsay, en attente d’une ambassade européenne, et de sa femme, études d’HEC, soucieuse de la scolarité de sa fille Pauline. Inès de Chémillé le surprend par la simplicité troublante avec laquelle elle enlève ses chaussures et se masse les pieds sur le canapé en sa présence, tandis que son mari sort les labradors.

François-Marie Samson s’occupe de généalogie familiale et successorale, depuis qu’il travaille à son compte. Quand Tanneguy de Chemillé lui commande en secret l’arbre généalogique de son épouse, les Créanges de Vantoux, pour son anniversaire, il est ravi d’en apprendre davantage sur elle. Il la découvre très efficace dans le cadre de sa profession, à la conférence de presse au Ritz du grand groupe pharmaceutique où elle est directrice de la communication. Il est question de recherches génétiques à partir de l’ADN de tous les Islandais, ce qui suscite questions et protestations parmi les journalistes. Après leur départ, Inès s’approche de lui et avoue que leur rencontre l’a troublée aussi, l’autre soir. Il ne lui en faut pas plus pour passer une nuit blanche.

Ainsi commence une certaine intimité entre Inès et lui, qu’elle lui demande bientôt d’oublier, par un petit mot. Les recherches sur les Créanges de Vantoux ne sont pas faciles, en particulier pour la branche alsacienne où Samson rencontre des difficultés imprévues. Ne pouvant interroger Inès, Samson en fait part au commanditaire tout en le rassurant : « un arbre est possible ». Tanneguy, satisfait de ses travaux, lâche un « j’ai ce que je voulais » qui l’intrigue et lui fait éprouver quelque culpabilité à l’égard d’Inès.

Pour ce généalogiste toujours à l’affût d’une faille, d’une fêlure dans les belles apparences, cette famille devient une obsession. Une manière aussi de ne plus penser à Agathe, qui le harcèle de demandes. Quand il emmène sa mère à la Comédie française et qu’il y croise Inès avec son fils, celle-ci lui confie son inquiétude : Sixte ne parle plus du tout. Il lui laissera l’adresse d’un ami psy qui pourrait l’aider, même si son mari n’en veut pas.

Etat limite, qui s’ouvre sur une visite mondaine, s’emplit peu à peu de mystère. Chacun des Chemillé en porte une part, Sixte d’abord, puis Inès, si belle, si proche de Samson par moments. Déstabilisée par l’attitude de son époux et inquiète du renfermement de son fils, elle n’a que cet homme suspendu à son bon vouloir avec qui en parler ouvertement. La peinture d’un milieu social – la noblesse, comme souvent chez Assouline – se double d’un suspense psychologique. Etat limite porte bien son titre.

Dans le style classique qu’on lui connaît, Pierre Assouline nous embarque agréablement dans ce récit où affleurent ses centres d’intérêt, à en croire son portrait dans l’Express, comme le goût de la discrétion et des bonnes manières, ou encore ces pages sur la Société sportive du jeu de paume. Dans chacun de ses romans et de ses biographies, au fond, ce qui mène le jeu, c’est la curiosité, le goût des autres et de leur histoire.

Commentaires

  • Là... je suis trop tentée... Je sens que je ne résisterai pas :) (Dois-je te remercier pour l'augmentation vertigineuse de ma "PAL"? )

    Bonne semaine!

  • Bonne lecture, Edmée, ne résiste pas à la tentation ;-).

  • D'une traite, non, mais avec plaisir. Bonne semaine, dame Colo.

  • Un peu trop de mondanité pour mon goût, comme souvent chez Assouline, dont j'ai cependant, par exemple, adoré Le dernier des Camondo.

  • Je comprends. Un titre encore à découvrir pour moi, Bonne journée, Anne.

  • Un billet qui annonce un livre si délicieusement dépaysant que d'un clic j'ai réservé le livre !

  • Ce roman m'a donné envie de découvrir un jour cette ligne de métro aérienne. Bonne balade dans le XVIe (et pas seulement), Nicole !

  • Je n'avais pas particulièrement remarqué ce roman. D'Assouline, je n'ai lu que "le dernier des Camondo" qui m'avait beaucoup plu. Je pense trouver celui-ci à la bibliothèque (il décrit un monde que je ne risque pas de cotoyer un jour ..)

  • Il me semble aussi qu'on n'a pas tellement parlé de ce roman, aperçu à la bibliothèque en cherchant "Le dernier…", toujours en prêt.

  • Intriguant tout cela pour le moins ! Je m'y essaierai bien d'autant plus que la généalogie me passionne et que je n'ai jamais lu un livre de Pierre Assouline. Merci Tania !

  • J'ai pensé qu'il devrait t'intéresser, Annie, tu as parlé de ta passion pour la généalogie. J'espère qu'il te plaira.

  • On sent qu'un mystérieux secret familial se cache dans cette histoire, non ? Va-t-il être dévoilé ? Affaire à suivre de près. Encore une belle proposition de lecture, merci Tania. Bises. brigitte
    Pour info, il y a toujours la Libre Belgique qui apparait quand tu laisses un comm. et non pas ton site...

  • J'ai tâché de ne pas trop en dire, bien sûr.
    (Désolée pour cette erreur d'url, en fait je ne sais comment me débarrasser de l'ancienne adresse du blog suggérée à chaque fois que je remplis le formulaire, la bonne n'apparaissant qu'en dernière place - et parfois je clique au mauvais endroit. Excuse-moi, j'y serai plus attentive et vais essayer d'y remédier pour de bon.)

  • tu es très tentante un Assouline qui pourrait bien me plaire je n'aime pas tous ses romans mais j'aime son écriture

  • Une écriture élégante qui correspond parfaitement à son sujet dans ce roman, bonne lecture.

  • Ce thriller prenant naissance dans monde assez inconnu semble passionnant ! Merci pour cette nouvelle présentation, comme toujours très soignée. Bises et Bonne journée.

  • Déjà dans la séquence initiale du métro, il suffit d'un événement inattendu pour faire craquer le vernis des apparences sociales. La matière romanesque ne manque pas. Bonne après-midi à toi.

  • Je ne connais pas du tout Assouline pour ce type de romans. J'ai eu l'occasion de lnecouterva propos de ces écrits sur l'occupation. Je vais lire son portrait dans l'express, merci pour le lien.

  • J'ai lu en premier son formidable "Lutétia" et depuis, je le suis régulièrement dans son exploration de la société française, souvent avec beaucoup d'intérêt (tu trouveras dans l'index des auteurs d'autres titres que j'ai aimés).

  • un billet intéressant comme toujours, tania - bien que je sois peu attirée par la généalogie, je comprends que les gens s'y intéressent avec passion

  • Merci, Niki. J'ai la chance de disposer d'un arbre généalogique reconstitué par un parent éloigné du côté de mon père, mais j'imagine que le plus passionnant, c'est l'enquête, la recherche, les cases qui se complètent au fil du temps.

  • Peinture d'une noblesse, "discrétion et bonnes manières", des pages sur la société sportive du jeu de paume, exploration d'une société parisienne dont il s'agit (presque obsessionnellement ici, lis-je) de cerner et comprendre des fêlures. C'est bien Assouline.
    J'ai pris plaisir à lire le portrait de l'express :  son blog "dicte la tendance". Je le fréquente beaucoup moins, mais bonne idée, je vais y fureter tout-à-l'heure.

  • J'ai aussi un peu perdu l'habitude de visiter La République des livres, où les plumes et les centres d'intérêt se sont multipliés. Il faut garder du temps pour lire des livres ;-).

  • Comme toi, j'ai perdu l'habitude de visiter La République des Livres mais j'ai lu " Le dernier des Camondo "et"Sigmaringen".
    Je reconnais dans ce que tu as écrit ce qui caractérise si bien Assouline.

  • "Le dernier des Camondo" fait l'unanimité, je le lirai certainement.

  • Je viens de refermer le livre, Si le début m'a quelque peu déstabilisée par la préciosité du style, je me suis délectée des pages (d'anthologie) sur l'essence de la noblesse. Et puis le roman bascule dans les profondeurs de l'âme tout en multipliant les allusions érudites. et les intrusions dans des mondes étranges et étrangers. Un savant mélange d’ethnologie et de psychologie qui m'a tenu en haleine jusqu'à la dernière ligne. Merci Tania pour cette proposition.

  • Merci beaucoup, Nicole, de venir partager vos impressions ici. La scène dans le métro au début est marquante, le contraste n'en est que plus fort une fois le narrateur entré dans le salon des Chemillé. Un savant mélange, vous avez raison. Heureuse que cette lecture vous ait aussi captivée. Bonne soirée.

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