Mai 1895
Vous aviez promis de venir me voir et je vous attendais avec impatience. Ne pouvant plus continuer la sculpture sans aucune avance ni espoir de gagner de l’argent, j’ai donné congé de mon atelier pour le mois de juillet.
Si cela était en votre pouvoir de me faire acheter quelque chose en ce moment, vous me rendriez le plus grand service, car je dois deux termes de loyer qu’il m’est impossible de payer et je ne sais de quel côté me retourner, mes parents refusent de m’aider.
Je regrette d’être obligée d’abandonner mon art au moment de la réussite, alors que je vois autour de moi tant d’artistes médiocres comblés de commandes. Mais enfin je n’ai pas été assez forte. Je vous demande donc comme dernière grâce de m’acheter quelque chose maintenant où je suis si embarrassée et après vous n’entendrez plus jamais parler de moi, car je suis en train de chercher une petite place qui me permette de vivre sans de si grands frais que j’en ai dans la sculpture.
Je vous prie de me répondre afin que je sache si je puis compter sur vous.
Portrait de Camille Claudel en 1889 (source : The Red List)
Commentaires
quel triste destin que celui de cette femme! malgré tout son talent... quelle tristesse!
Oui, elle a pu compter sur quelques fidèles, mais l'argent lui manquait pour mener tous ses projets à bien et travailler dans des conditions plus vivables.
Combien écrire cette lettre a dû lui coûter; comme si elle demandait une aumône, c'est fou!
On la sent déjà proche du désespoir, à trente ans !
Sa vie n'aura été qu'une longue suite d'épreuves dures. Je suis horrifiée par l'attitude de sa mère qui s'est toujours opposée à sa sortie de l'asile alors que son état ne le justifiait plus. Elle a payé cher d'être une femme artiste ..
Cette dureté de sa mère m'est aussi incompréhensible, d'autant plus qu'elle lui interdisait les visites et la correspondance aussi !
Terrible réalité, c'est une expérience de vie plus que douloureuse, pauvre Camille, quand on voit son talent ! Combien d'artistes vivent ces difficultés,cette longue épreuve à traverser, l'abandon de leur art parfois, j'ai beaucoup de compassion pour eux. Bises ensoleillées. brigitte
Tu as raison, c'est le lot de beaucoup d'artistes, encore aujourd'hui, malheureusement. Un entourage attentif, un soutien matériel leur sont indispensables. Que ses proches n'aient pu pallier ces difficultés alors qu'elle bénéficiait déjà d'une renommée certaine, voilà qui est révoltant.
Poignant !
Oui. Ce "je n'ai pas été assez forte" fait mal.
Une vie d'artiste et une vie de femme mutilées.
Quelle tristesse.
J'enrage pour elle.
Nous sommes nombreuses à enrager pour elle - heureusement, une bonne partie de son oeuvre a survécu.