« Depuis lors, cette histoire de mots m’a poursuivi, dit Sergeï. Oui. Les mots s’usent, ou pire : ils tombent en panne. Tous ces mots que l’on voit chaque jour dans les journaux. Autos très usées. Il n’y a rien à faire. Il est trop tard. Nous sommes usés aussi et nous n’avons plus de plaine pour y élever des stèles. Je m’en rends compte depuis que j’ai perdu Macha. Ma fille. Si petite. Elle avait douze ans. Et je n’ai pas trouvé de mots pour parler d’elle dans ma mémoire. Alors j’ai fait une langue pour elle. Une langue secrète. Est-ce que j’ose dire : sacrée ? »
Paul Willems, Dans l’œil du cheval (La cathédrale de brume)
Source de la photo : http://www.papillonsdemots.fr/2014/07/05/memoire/
Commentaires
les mots s'usent si on les emploie trop, surtout les superlatifs ;-) et nous aussi on s'use, moi en tout cas
Ce sont les mots qui s'usent, l'usage qu'on en fait ? ou est-ce notre âme, notre cœur, notre esprit ?
" nous n'avons plus de plaine pour y élever des stèles"... comme c'est beau et triste.
@ Adrienne : Les superlatifs sont des accélérateurs d'usure, les mots simples ont la force de la simplicité, oui ! Courage, professeur.
@ Witchy : Pour toi, la réponse du texte : "Regardez, dit-il (et il sort de sa poche un objet allongé et noir), regardez la stèle que j'ai sculptée et gravée. Je l'ai toujours sur moi. Car dans ma poitrine il y a une plaine où je puis dresser une stèle pour Macha.
Et il me lit l'inscription d'une voix rauque et transparente comme un ruisseau."
Merci Tania !
L'auteur nous donne l'inscription gravée ?
Un passage poignant ; quand les mots perdent leur sens ..
@ Witchy : La voilà : "Macha, loucou saquilha, dousse haby."
A toi de déchiffrer la langue secrète.
@ Aifelle : Oui, et quand certains mots, tout à coup, sont brutalement d'actualité.
C'est fort et touchant, les mots du cœur ne s'usent pas il me semble, il sont emplis d'une grande pudeur... Bises. brigitte
que de beauté dans ces mots de tristesse
@ Plumes d'Anges : D'où cette langue secrète ? Belle journée, Brigitte.
@ Niki : Paul Willems a l'art d'écrire ces choses à la fois belles et tristes, douces et graves, qui viennent des profondeurs.