« Il y a encore une autre dérive de l’idée démocratique, apparemment moins ruineuse pour les libertés, mais aussi plus insidieuse, et qui naît paradoxalement moins des échecs de la démocratie que de sa réussite. On peut, faute d’un meilleur terme, l’appeler la dérive prosaïque. Dans le monde moderne, en effet, où l’opinion commune est reine, que régente la publicité avec sa traîne de besoins artificiels, la contrainte n’a nullement disparu : mais c’est une contrainte douce, qui parvient à imposer l’uniformité des comportements et des mentalités. Inutile, tant il est criant, d’évoquer le déficit esthétique de cette uniformité. Le déficit civique ne l’est pas moins : chacun bricole désormais sa représentation particulière de l’intérêt public, l’idée du bien commun se décolore, le souci de soi se solde par le repli sur soi, loin des grandes causes et des grands projets. Le désenchantement atteint tous les individus démocratiques, privés d’une représentation de l’avenir. »
Mona Ozouf, Le thérapeute de la croyance in La cause des livres
Commentaires
Beaucoup aimé ce livre à la fois très riche et très modeste comme son auteure. Et cette citation choisie est hélas trop vraie!
C'est parfaitement exprimé hélas, nous souffrons tous de cette situation, en le sachant .. ou pas.
@ Zoë Lucider : Ce constat de "déficit civique" est particulièrement inquiétant - c'est vous, il me semble, qui avez attiré mon attention sur l'abandon des communs que nous pouvons observer presque partout aujourd'hui.
@ Aifelle : Oui, nous le ressentons, ce désenchantement, avec l'impression que le cours du monde nous échappe. Et en même temps, tant de choses vues, lues, partagées nous réjouissent.
un livre qui m'intéresse beaucoup - j'ai lu un essai de cette écrivaine, j'avais beaucoup apprécié
@ Niki : Mona Ozouf a l'art de nous embarquer vers son sujet.