« Les doigts de verre en suspension se tendent vers le bas. La lumière ruisselle le long du verre et s’égoutte en une mare verte. A longueur de journée, les dix doigts du lustre font tomber goutte à goutte leur verdeur sur le marbre. Les plumes de perruche – leur cri strident ! – les lames affûtées des palmiers – vertes, elles aussi. Aiguilles vertes scintillant au soleil. Mais le verre solide s’écoule sur le marbre ; les flaques flottent au-dessus du désert, les chameaux titubent au travers ; les flaques s’installent sur le marbre, les joncs les bordent, les herbes les envahissent ; ici et là, un bourgeon blanc ; la grenouille s’affale dessus ; la nuit, les étoiles s’y déposent sans se briser. Vient le soir, et l’ombre efface le vert sur la cheminée ; la surface troublée de l’océan. Aucun bateau ne vient ; les vagues ondulent sans but sous le ciel vide. Il fait nuit. Les aiguilles laissent tomber des gouttes bleues. Fini le vert. »
Virginia Woolf, Bleu et vert, 1921 (Lettre à un jeune poète)
Commentaires
Les premiers rayons du soleil font briller les "lames effilées du palmier" devant ma fenêtre, je peux enfin te lire et découvre cette symphonie en vert et bleu.
Gracias! Besos!
Ah, bonne nouvelle ! Ici le cri strident des perruches vertes, fendant l'air comme des flèches. Un baiser de coquelicot.
Dommage que tout cela ne soit pas écrit en vers ! Cela dit j'aime beaucoup Virginia Woolf et ce paragraphe est magnifique. Il est tout sauf vert de gris.
Ici les pelouses commencent à ressembler à des paillassons, nous baignons dans la lumière,le jaune et le doré ont remplacé le vert, mais la nuit les chats sont toujours aussi gris.
Très bonne journée Tania
Excellent texte et qui n'est pas de la tisane!
;)
@ Gérard : Poème en prose, en couleurs et en lumière. Vous faites la sieste dans l'or paille ? Très beau temps aussi à Bruxelles, Gérard, des repas en terrasse près des verts de mon jardin suspendu - juillet comme je l'aime.
@ Versus : Heureuse de vous l'entendre dire, Versus. Bonne après-midi.
Comme c'est beau, n'est-ce pas ?
"Car la poésie, bien sûr, s'est toujours très massivement rangée du côté de la beauté." (V. Woolf) Bonne journée à toi.
Une vision et un style reconnaissables: je l'ai très peu lue, n'ayant pas encore achevé le recueil de nouvelles entamé en juin, et je n'aurais pu attribuer cet extrait à un(e) autre. Beau.
Heureuse de vous revoir, Christw, et de partager ce "Vert".