« J’ai déjà raconté les merveilles des trains russes, les petites gares couleur de fraise ou de pistache où ils s’arrêtent, au milieu des forêts, leurs samovars fumants, la géométrie originale des couchettes et le pique-nique interminable mais bien ordonné que l’on consomme à bord des longs parcours, sous les yeux maternels d’une hôtesse qui veille à tout et arrange tout. Ce que je n’ai pas encore révélé, c’est la magnificence de leurs billets, aussi ornés que des billets de banque, affublés du nom pompeux de « documents de voyage », enfermés dans des étuis multicolores ; ce sont de parfaits souvenirs, avec votre auguste nom en lettres cyrilliques, les heures de départ et d’arrivée, le numéro de votre passeport et une infinité de données qui en font un document unique de votre existence. Seul le cachet du visa sur votre passeport peut rivaliser avec lui. »
« J’ai reçu beaucoup plus que je n’ai donné. J’ai rencontré quelques salauds, mais les personnes que j’ai trouvées sur mon chemin étaient en grande majorité de braves gens. Beaucoup d’entre elles, surtout les plus pauvres, étaient promptes à offrir à l’étranger un toit sous lequel dormir et à lui faire un petit bout de conduite sur la route. Mais de toutes ces choses, les plus précieuses peut-être, il ne reste plus rien. Sauf des bribes de notes dispersées à travers sept carnets. Je me demande si je serai vraiment en mesure de restituer la densité humaine de ce voyage. »
Paolo Rumiz, Aux frontières de l’Europe