« Je ne ressens maintenant que du regret quant à mon attitude à l’égard de Keiko. Dans ce pays-ci, après tout, il n’est pas surprenant de voir une jeune femme de cet âge exprimer le désir de partir de chez elle. Tous mes efforts n’ont abouti, semble-t-il, qu’à l’amener, le jour où elle est enfin partie – il y a de cela presque six ans – à rompre tout lien avec moi. Mais aussi n’avais-je jamais imaginé qu’elle pouvait m’échapper aussi vite et passer hors de ma portée. Je ne voyais qu’une chose : même si ma fille était malheureuse à la maison, elle n’aurait pas été de taille à se mesurer avec le monde extérieur. C’était pour mieux la protéger que je m’opposais à elle avec tant de véhémence. »
Kazuo Ishiguro, Lumière pâle sur les collines
Commentaires
C'est étrange, mon imaginaire m'a fait partir sur un couple. Au final, c'est un père et sa fille.
"elle n’aurait pas été de taille à se mesurer avec le monde extérieur" .Voila bien l'angoisse de tous les parents qui veulent absolument que leur enfant soit bien "armé" quand il quitte le nid.
Alors que la meilleure "arme" qui soit c'est l'amour tout simplement, celle qui donne envie d'avancer, celle qui nous fait déplacer les montagnes, qui nous fait distinguer le vrai de l'artificiel, qui fait qu'à notre tour on soit capable d'en redonner.
En un mot tout ce qui ne mène pas à la guerre.
Merci Tania de nous faire plonger dans cet autre monde qu'on connaît si mal. C'est très touchant de sincérité.
plaidoyer pour que les jupes maternelles marquent les frontières du monde...
@ La bacchante : C'est la narratrice, Etsuko, qui évoque ici le départ de sa fille aînée. Son père aurait pu dire de même, mais il est l'absent de ce roman.
@ Gérard : Heureuse de vous retrouver, Gérard. Jusqu'où doit aller le souci protecteur des parents, voilà qui est souvent difficile à apprécier.
"Alors que la meilleure "arme" qui soit c'est l'amour tout simplement" : voilà ce que vous résumez parfaitement, merci.
@ JEA : "Toute littérature est assaut contre la frontière." (Franz Kafka)
Il y a un proverbe qui dit " On ne peut donner que deux choses à ses enfants des racines et des ailes".
La liberté c'est un cadeau, une preuve d'amour, une marque de respect !
@ Pâques : Très beau proverbe, merci, Pâques. A rapprocher du "Prophète" de Khalil Gibran : "Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. (...) Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés."