Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Teinture de l'âme

A  G. E.         

 

« Paroles, gestes, lettres. Chevaux, incendies. Branches basses du feu dans la forêt de l’âme. Vous ouvrez le livre un vendredi soir, vous atteignez la dernière page un dimanche dans la nuit. Après, il faut sortir, retourner dans le monde. C’est difficile. C’est difficile d’aller de l’inutile, la lecture, à l’utile, le mensonge. Au sortir d’un grand livre vous connaissez toujours ce fin malaise, ce temps de gêne. Comme si l’on pouvait lire en vous. Comme si le livre aimé vous donnait un visage transparent – indécent : on ne va pas dans la rue avec un visage aussi nu, avec ce visage dénudé de bonheur.  Il faut attendre un peu. Il faut attendre que la poussière des mots s’éparpille dans le jour.

bobin,une petite robe de fête,terre promise,littérature française,livres,lecture,culture

De vos lectures, vous ne retenez rien, ou bien juste une phrase. Vous êtes comme un enfant à qui on montrerait un château et qui n’en verrait qu’un détail, une herbe entre deux pierres, comme si le château tenait sa vraie puissance du tremblement d’une herbe folle. Les livres aimés se mêlent au pain que vous mangez. Ils connaissent le même sort que les visages entrevus, que les limpides journées d’automne et que toute beauté dans la vie : ils ignorent la porte de la conscience, se glissent en vous par la fenêtre du songe et se faufilent jusqu’à une pièce où vous n’allez jamais, la plus profonde, la plus retirée. Des heures et des heures de lecture pour cette légère teinture de l’âme, pour cette infime variation de l’invisible en vous, dans votre voix, dans vos yeux, dans vos façons d’aller et de faire. »

 

Christian Bobin, Terre promise in Une petite robe de fête, Gallimard, 1991.

Commentaires

  • B. Chapuis :
    - "La lecture sert à transformer la solitude en une communauté dénuée de "soi". Ue solidarité des "errants assis".

  • Je n'ai rien à ajouter à cette magnifique citation! Juste une petite question concernant la photo. Je la trouve très belle et je me demandais si elle est de vous. L'association de cette image avec le texte est très réussie: on y retrouve la frontière entre intérieur et extérieur et cette transparence!

  • je suis comme Jeanne très admirative de la photo

    Tania j'ai bien reçu le paquet il est arrivé il y a deux jours mais je n'avais pas eu le temps de passer à la poste, très heureuse que notre circuit littéraire ait bien marché

  • Il est très juste qu'il est difficile en sortant d'un livre de reprendre une activité "ordinaire". On a alors le sentiment désagréable du traitre : celui qui arbore un masque pour ne pas avoir à se départir du bonheur intime que lui a donné la lecture ou à contrario celui qui oublie et abandonne l'auteur qui lui a tout donné.

  • @ JEA : Plutôt en voyage qu'en errance, dirais-je - à moins que l'errance en fasse partie.

    @ Jeanne : Heureuse que ma photo et mon choix vous plaisent, Jeanne, merci.

    @ Dominique : Un paquet arrive à bon port, une lecture continue son cheminement intérieur.

    @ Zoë Lucider : Merci de partager ce sentiment, Zoë. On pourrait, dans "Comment sortir d'un livre", approfondir bien des aspects de cette transition.

  • Je ne peux pas entendre "fenêtre" sans une petite musique qui en échappe disant quelque chose autour du "feu" et du "naître" .. de ce "feu" qui brûle ou de celui qui désigne un défunt. De la mort à la vie, du dedans au dehors, du livresque où le regard est donné, à nos vies menées. Les passages opèrent, les mutations transfigurent.
    Bobin me désarme, sa simplicité est si clairement humble.
    Il y a tant de belles choses ici que j'ai du mal à vous quitter :)

  • @ Isabelle C. : Merci, Isabelle. Connaissez-vous cette petite fenêtre des anciennes maisons suisses, qu'on ouvre à la mort de quelqu'un pour que son âme puisse s'envoler ?

  • Oui un livre c'est comme un trou dans l'espace temps . On s'y engouffre mais on ne sait pas ni quand ni comment on en reviendra .Comme un rêve éveillé .
    "De vos lectures, vous ne retenez rien, ou bien juste une phrase" .C'est exactement ça , comme une conversation à laquelle vous repensez , pas une mais cent , mille et au fond vous ne savez plus à qui attribuer une pensée , une expression , un sentiment à partir du moment où vous les avez fait vôtre .
    Peut-être l'âge , le trop plein d'émotions , les coups portés au plus profond , toujours est-il que je ne peux plus lire que la fenêtre ouverte et que je me moque pas mal qu'on puisse lire en moi .

  • @ Gérard : La lecture comme un rêve éveillé, oui. Elle renforce la trame de notre vie. Et nous avons besoin d'air pour vivre. Bonne journée, Gérard.

  • Oh, Ch.Bobin dit si bien les choses... "l'écriture, c'est le coeur qui éclate en silence" et nous avec ;-)
    Très belle photo, on dirait un couloir d'école vu de l'extérieur, je me trompe ?

  • @ MH : Belle image de l'écriture...
    (Photographié en intérieur d'îlot, ce bâtiment affiche en façade sa destination : "Telefoon-Téléphone" (répartiteur téléphonique d'une société belge bien connue). Mais la plupart de mes visiteurs le prennent pour une école, pour son style architectural sans doute ?)

  • "De vos lectures, vous ne retenez rien, ou bien juste une phrase": on peut dire aussi cela, des phrases rencontrées dans les livres de Bobin. Rien qu'un phrase, précieuse qui dit tout, simplement, justement. Une phrase qu'on a envie de ne plus jamais quitter, parce qu'elle vous comble.

  • Quelle belle lecture tu me souffles ici, cela fait trop longtemps que je ne l'ai plus approché. L'extrait que tu cites dans le billet suivant flotte entre ciel et terre, comme son œuvre, d'ailleurs.

  • @ Delphine : Te voilà aussi à "attendre que la poussière des mots s’éparpille dans le jour"... Merci pour ton passage, Delphine.

Écrire un commentaire

Optionnel