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la princesse ligovskoï

  • Artifices

    « Ayant appris d’expérience comme il est difficile de s’éprendre des seules qualités de l’âme, il était devenu méfiant et porté à mettre l’attention ou l’inclination des femmes au compte du calcul ou du hasard ; ce qui à un autre eût paru la preuve du plus tendre amour, il lui arrivait souvent de le dédaigner comme indices trompeurs, paroles en l’air, regards ou sourires jetés au vent pour le premier qui les voudra prendre. Un autre se serait découragé et aurait abandonné à ses rivaux le champ de bataille… mais la difficulté de la lutte stimule un caractère obstiné, et Piétchorine s’était fait un point d’honneur de rester victorieux : appliquant son système et s’armant d’une irritante affectation de sang-froid et de patience, il aurait déjoué les artifices de la plus experte coquette… »

     

    Lermontov, La Princesse Ligovskoï 

    Lermontov Autoportrait (wikimedia commons).jpg

    Autoportrait de Lermontov (1837)

  • Des Pétersbourgeois

    Après des études universitaires à Moscou, Lermontov (1814-1841) a suivi sa grand-mère à Saint-Pétersbourg. Promu cornette à l’école des élèves-officiers des hussards de la Garde, il y participe à la vie mondaine. Au printemps 1836, Lermontov commence à écrire avec un ami La Princesse Ligovskoï, un roman non terminé où apparaît déjà Piétchorine, le protagoniste de son œuvre la plus connue, Un héros de notre temps (1840). 

    St Pétersbourg Le cavalier de bronze.jpg

     

    Décembre 1833, Saint-Pétersbourg. Un jeune fonctionnaire marche dans la rue lorsque fonce sur lui un trotteur bai ; il a beau s’agripper au brancard, le cheval le fait tomber, dans l’indifférence totale du cocher et de son passager en uniforme de la Garde. Celui-ci, Piétchorine – « Georges » pour ses amis – descend « devant un riche portail avec avant-toit et porte de verre brillamment garnie de bronze. » Fils de bonne famille (ses parents sont propriétaires de « trois mille âmes »), il a vingt-trois ans et se trouble en découvrant l’invitation déposée chez lui de la part du prince Ligovskoï et de la princesse.

     

    Sa sœur Varinka le rejoint dans son cabinet de travail et salon avec « des tentures françaises bleu clair », une porte « de chêne ciré » et une draperie au-dessus des fenêtres « dans le goût chinois ». Comme Georges soupire à l’arrivée d’une nouvelle invitation à un bal, sa sœur ironise sur une certaine « mademoiselle Negouroff » (en français dans le texte) qui y sera et qui ne cesse de lui demander des nouvelles de son frère. Après quelques chamailleries, elle s’en va, et en s’amusant, Piétchorine se met à écrire une lettre à la demoiselle en question.

     

    Le soir, il se rend au théâtre où, du deuxième rang, il aperçoit au-dessus de lui la loge de la famille Niégourov au complet, « père, mère et fille », celle-ci lui adressant un sourire aimable – « Apparemment, la lettre n’est pas encore arrivée à son adresse !, pensa-t-il. » Au lever du rideau arrivent les occupants de la loge voisine : « Piétchorine leva la tête, mais il ne put voir qu’un béret ponceau et une divine main blanche et potelée qui, tenant une ravissante lorgnette, se posait négligemment sur le velours incarnat de la loge. » Il ne sait pas encore que s’y trouve la jeune femme qu’il a aimée, mariée aujourd’hui au prince Ligovskoï. Ni qu’au restaurant tout proche, à l’entracte, il va se heurter à un jeune homme en frac, pas très élégant mais « remarquablement beau », celui-là même que son trotteur a renversé, et qui ne peut lui pardonner d’en rire avec ses amis.

     

    Krasinski (ainsi s’appelle le pauvre fonctionnaire), Elisabeth Nikolaïevna Niégourov l’amoureuse, la blonde princesse Ligovskoï, voilà pour les autres personnages principaux du récit, au cœur de la bonne société pétersbourgeoise. Une visite à la jeune mariée, en présence du prince, plus âgé qu’elle, laisse Piétchorine songeur :
    « Il fut un temps où je lisais tous les mouvements de sa pensée aussi infailliblement que ma propre écriture, et maintenant je ne la comprends pas,
    je ne la comprends absolument pas. »

     

    En une centaine de pages, Lermontov dessine les caractères de ces jeunes gens que les activités mondaines rapprochent ou éloignent, jusqu’à un joli tableau de bal chez le baron R… La Princesse Ligovskoï, un récit inachevé mais bien enlevé, illustre une époque où le destin des jeunes femmes dépend en grande partie du caprice de jeunes gens qui se croient tout permis.