Au bas de la colline de Cimiez, le Musée national Marc Chagall est un bâtiment clair et moderne niché dans un jardin où, cela tombe bien, une cafétéria propose de quoi reprendre des forces en terrasse ou sous une gloriette blanche – pourquoi pas une salade, niçoise par exemple ? Il y a du monde ici, plus qu’au musée Matisse vu le matin, des autocars, des groupes scolaires, mais les espaces du musée sont vastes et nous pourrons le visiter bien à l’aise.
D’abord une exposition temporaire : « Marc Chagall Œuvres tissées » permet d’apprécier le travail d’Yvette Cauquil-Prince, qui a reproduit des œuvres du peintre en veillant à rendre fidèlement ses couleurs, le passage de l’une à l’autre, dans des tapisseries de basse lisse. Le garçon dans les fleurs (1955, collection particulière), une scène joyeuse dans les tons roses et verts, a été choisi pour l’affiche. La Tapisserie pour l’entrée, dite aussi Paysage méditerranéen, y est exposée (on l’a déplacée à l’ombre pour la protéger).
© Marc Chagall, Le garçon dans les fleurs, gouache sur papier, 1955.
Au bout de cette galerie, un grand auditorium sert de salle de concert. La dernière projection d’un film sur Chagall débutait à quatorze heures et nous n’en voyons que la fin. A gauche de l’écran, la lumière révèle le bleu des splendides vitraux sur La Création du monde (Chagall & Charles Marq). C’est une donation exceptionnelle de Marc et Valentina Chagall, du vivant de l’artiste et centrée sur le « Message biblique », qui est à l’origine de ce musée inauguré en 1973. L’architecte André Hermant l’a conçu comme une « maison » pour mettre en valeur les œuvres qu’elle allait accueillir.
Marc Chagall, tapisserie d'après "Le Garçon dans les fleurs" (détail), 1955. Maître d'oeuvre Yvette Cauquil-Prince © Adagp, Paris 2015
Au départ, les douze grandes peintures à l’huile illustrant la Genèse et l’Exode étaient destinées aux murs de la chapelle du Rosaire à Vence, et les cinq plus petites inspirées du Cantique des Cantiques pour la sacristie. En avançant dans son travail, « l’expression la plus achevée de sa peinture religieuse » (catalogue), Chagall a préféré « mettre l’accent sur la portée humaniste de ses œuvres » et les offrir à l’Etat français. Ces dix-sept peintures sont exposées en permanence dans le musée, c’est le cœur de la collection permanente.
© Marc Chagall, Abraham et les trois anges (détail), huile sur toile, 1960-1966.
J’ai admiré longuement Abraham et les trois anges (j’en avais vu une petite esquisse au Mucem). Trois anges sont attablés, deux portent de somptueuses ailes blanches, le troisième des ailes jaunes (couleur divine pour Chagall). De face, près de la table, Abraham se tient debout, vêtu de bleu, sa femme Sarah à côté de lui apporte un plat. Toute la scène – les anges annoncent au vieux couple étonné qu’ils vont avoir un fils, Isaac – baigne dans un rouge profond traversé de lignes et dans le haut à droite, un autre épisode de cette rencontre est évoqué dans une bulle.
© Marc Chagall, Le Cantique des Cantiques II (détail), huile sur toile, 1957.
Le buisson ardent, le déluge, l’échelle de Jacob… Même si l’on connaît peu ces épisodes de l’Ancien Testament, on est époustouflé par l’extraordinaire richesse et des couleurs et de la composition. Chagall est ici à son apogée. Que dire alors de la salle consacrée au Cantique des Cantiques, ce chant d’amour interprété par le peintre dans toutes les nuances du rouge et du rose. Un extrait au-dessus de chaque tableau en indique le thème. Une plaquette reprend la dédicace du peintre : « A Vava ma femme, ma joie et mon allégresse ».
Marc Chagall, Le prophète Elie, mosaïque, 1971.
Projet de vitrail, bas-reliefs, œuvres sur papier, toutes les facettes de son art sont illustrées dans ce musée dont l’architecture s’ouvre soudain sur un bassin, sous une mosaïque monumentale réalisée avec le mosaïste Lino Melano. On y voit le prophète Elie enlevé au ciel sur son char de feu, entouré des constellations du zodiaque. Devant la baie vitrée qui lui fait face, une banquette permet aux visiteurs de s’imprégner, de goûter la sérénité de cette « vision cosmique, baignée par la lumière méditerranéenne ».
Devant La Création de l’homme, un groupe d’élèves assis par terre écoutent attentivement la conférencière qui aide à regarder, à apprécier. Il faudrait rester ainsi, longuement, devant chacun des chefs-d’œuvre réunis dans ce musée.
S’attarder sur les détails, comme ces arbres ou buissons lumineux, floraisons de couleurs vives (Adam et Eve chassés du Paradis, Le Cantique des cantiques V et III).
Je m’étais promis de visiter un jour ce musée Chagall de Nice tant vanté, la rétrospective de Bruxelles avait sonné le rappel. En sortant dans le jardin conçu par Henri Fisch, magnifié sous un ciel d’azur, on retrouve les arbres que Chagall aimait tant. Un eucalyptus impressionnant domine le site, planté de palmiers, oliviers, cyprès – on n’a pas envie de quitter ce bel endroit.
Commentaires
J'ai énormément aimé ce musée, j'y ai passé beaucoup de temps et j'ai terminé par un déjeuner dehors sous un soleil resplendissant. Petite anecdote, en même temps que moi visitait Colette Fellous qui enregistrait un "Carnet Nomade". C'est trop ancien pour que l'émission soit encore écoutable sur internet.
L'endroit semble superbe, en effet!
Ce n'est pas une peintre que j'apprécie beaucoup hélas, ses tons de rouges-orangés me heurtent, les motifs ne me "parlent" pas trop, mais certains tableaux comme Le Prophète me plaisent quand même!
Bonne après-midi Tania.
Quelle chance ! Les œuvres de Chagall sont magnifiques. Merci, Tania.
@ Aifelle : Tu m'en avais parlé dans un commentaire, et je suis aussi enthousiaste que toi. C'est un très beau musée et un lieu où je me suis sentie en harmonie.
@ Colo : L'endroit te plairait sûrement, avec ce jardin lumineux. Bonne soirée, Colo.
@ Danièle : Je n'en ai pas fini avec Chagall ici, j'ai ramené du musée quelques biographies.
Je suis avec beaucoup d'intérêt les visites que vous nous faites partager depuis votre voyage dans le sud. Une façon de rêver un peu de douceurs méditerranéennes.
C'est bien de voir ces gens assis à discuter devant un tableau de Chagall. Je ne crois pas que je choisirais Chagall pour faire cela, je suis plus sensible à d'autres artistes dont l'esquisse est plus maîtrisée techniquement. Mais il y a chez lui, et surtout chez l'homme lorsqu'il s'exprime, quelque chose qui remue et cela importe bien sûr.
Vous êtes allée dans tous les lieux que j'aime... J'attends la suite du voyage !
@ Christw : Merci de vous y intéresser. Il y a tant de raisons pour lesquelles tel peintre nous enchante et pas tel autre, dans sa peinture, et en nous-mêmes.
J'admire chez Chagall sa totale liberté dans la composition, sa folle audace dans la couleur, et... je n'ai pas fini d'en parler.
@ Bonheur du jour : C'est le dernier billet inspiré par ce séjour à La Seyne sur mer, où je retournerai. En attendant, c'est chez vous que je vais respirer l'air du Midi.
C'est un musée splendide, j'ai prolongé la visite avec un livre que l'on m'a offert et c'est un bonheur chaque fois de retrouver Chagall
@ Dominique : Bonheur partagé - il y a des musées qu'on se contente de visiter une seule fois, celui-ci, on se réjouit rien qu'à l'idée d'y retourner.
Tu me donnes envie de retourner à Nice! Toute la région, d'ailleurs, est riche non seulement au point de vue des paysages mais aussi de l'art, des musées. j'aime aussi beaucoup le musée d'Antibes.
@ Claudialucia : J'ai visité le musée d'Antibes il y a très longtemps, j'en garde un bon souvenir. Nice, comme toutes les belles villes, offre de quoi nourrir un plus long séjour, c'est une région dont je ne me lasse pas.
C'est au musée d'Antibes que j'ai découvert UN Soulages noir et cela m'a donné tellement envie de mieux connaître ce peintre que je suis allée voir le musée de Rodez qui lui est consacré; Très beau aussi.
@ Claudialucia : J'ai lu dans la presse beaucoup d'éloges sur ce nouveau musée. Soulages est un peintre que j'aimerais mieux connaître et je compte donc aller le visiter (coïncidence, il est question de lui dans un livre dont je parlerai la semaine prochaine, tu devineras peut-être lequel).
Un peintre des origines du monde où tout semble encore du domaine du rêve d'un créateur fantaisiste et poète. C'est ainsi que je vois la peinture de Chagall, un peintre qui m'envoûte littéralement. Et malheureusement, je ne connais pas ce musée mais je comprends d'autant plus votre enthousiasme.
@ Armelle B. : Si Chagall vous envoûte aussi, Armelle, arrêtez-vous un jour à Nice. Votre "malheureusement" vous rendra d'autant plus heureuse de découvrir ce musée.