Château de Sissinghurst,
Kent.
Dimanche 25 avril [24 avril 1932]
« Ma chère, lointaine, romantique Virginia – oui, effectivement, je regarde la lune se refléter dans les flaques d’eau boueuse de l’Angleterre et je me demande où tu es : en train de glisser au large de la côte damalte (c’est ce que je me dis par moments,) de dépasser Corfou et Ithaque, (et oh Dieu ! quelles associations d’idées tous ces lieux représentent pour moi !) et puis le Pirée et Athènes – (des souvenirs encore) et puis, qu’est-ce qui t’arrive ? car je ne sais rien du tout, voilà la vérité, - l’intérieur de la Grèce, je suppose, lequel reste une région inconnue de moi jusqu’à présent – et a toutes les chances de le rester à moins que je ne m’y rende avec Ethel [Smyth], ce qu’à Dieu ne plaise. Pourquoi ne m’as-tu pas demandé de t’accompagner ? J’aurais tout jeté au gré des vents et je serais venue. Mais tu ne m’as rien demandé.
En attendant, je cultive mon jardin, mais avril me prive de toutes les joies promises : le vent ne cesse de faire rage à toute heure, et la pluie se déverse presque sans arrêt. Un avril aussi sinistre n’avait jamais encore désolé l’Angleterre. Sois donc heureuse de t’ébattre au soleil (du moins je l’espère) de la Grèce.
J’en suis contente en ce qui te concerne, mais l’Angleterre est vide sans toi. »
(…)
Vita Sackville-West à Virginia Woolf, Correspondance 1923-1941
Vita Sackville-West in 1934. Photograph: BBC/Corbis