« Nous vivions dans le royaume du Dragon, où tout était à l’envers.
Des invalides affamés chargeaient des pommes de terre dans des sacs troués.
Les wagons n’amenaient pas les hommes, mais les hommes poussaient les wagons.
Des illettrés éduquaient les gens cultivés. Des criminels disposaient des innocents. Les hommes valides envoyaient travailler les malades. Des menteurs et des imbéciles vérifiaient chaque mot et chaque pensée.
Prisonniers construisant une ligne de chemin de fer. Abez, RSSA Komis, en 1941.
http://museum.gulagmemories.eu/fr
Mémoires européennes du Goulag
La neige tombait en juin.
Les femmes proféraient des obscénités, comme des hommes.
Les œuvres de Lenine ne sortaient pas des armoires de la KVTCH*, de peur qu’on ne les fumât. Les livres ordinaires étaient fumés.
Des lettres arrivaient pour les morts, mais les vivants n’avaient pas le droit de donner des nouvelles aux vivants.
Pour que les hommes ne s’enfuient pas, on les faisait garder par des chiens. »
Julius Margolin, Voyage au pays des ze-ka
(*Section culturelle et éducative du camp)
Commentaires
Merci Tania, pour cet extrait remarquable où "tant est dit"...
Merci pour ce lien très complet et très dense; à consulter à plusieurs reprises, sinon on risque d'y passer la journée ;-)
Ce livre n'est pas seulement pour moi l'extraordinaire témoignage d'un zek polonais, c'est la révélation d'un grand écrivain.
Comme toi, je n'ai pas fini d'explorer ces Mémoires européennes du Goulag, un site trouvé en cherchant une photo. Bon week-end, MH.
Je me glisse dans le commentaire de MH et reviendrai pour explorer la richesse de ton lien !
On a beau dire et redire "plus jamais cela" , les hommes ont beaucoup d'imagination pour détruire d'autres hommes et inventer les pires machines à torturer.
« Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. » B. Brecht
Ne jamais oublier et apprécier chaque moment de paix à sa juste valeur.
Bon Dimanche Tania
@ Fifi : Quand tu veux, Fifi, à bientôt.
@ Gérard : Merci pour votre conclusion, Gérard, bonne journée.
Fumer des livres...........je ne savais que c'était possible. Cela m'impressionne beaucoup.
J'ai lu les autres billets sur le sujet : oui, on dirait bien que cet auteur enterre quelque peu Le premier Cercle et l'Archipel du Goulag de Soljenitsyne.
J'ignorais aussi cette autre façon de faire disparaître les livres en fumée. Pour moi, Margolin n'ôte rien à Soljenitsyne - Ivan Denissovitch reste "le zek" de la littérature russe - mais sa culture européenne apporte un éclairage différent.
J'ai été frappée par les dates : le Polonais a précédé Soljenitsyne au Goulag et son récit a été publié en 1949, "Une journée..." en 1962. Pourquoi a-t-il fallu tant d'années pour prendre la mesure en Europe de ce qui se passait en URSS ?
Une parution récente pour mener la réflexion plus loin : "Terres de sang. L'Europe entre Hitler et Staline" de Timothy Snyder (Gallimard) - cela paraît très intéressant.
Dernièrement, j'ai assisté à une conférence de T. Snyder à l'ULB, j'ai été très impressionnée. Malheureusement, c'était en anglais et bcp de détails m'ont échappé mais j'ai compris pour toujours que c'est là, à l'Est, que le sang a commencé à couler et a le plus coulé (contrairement à ce que je croyais). La manière dont il nous l'a expliqué ce n'était pas en parlant du chiffre mais de l'individu. J'ai commandé son bouquin et si tu veux Tania, je te le ferai parvenir.
Merci beaucoup pour ta proposition, MH, c'est très aimable de ta part. En traduction française, cet essai m'intéresse, bien sûr. Peut-être pourrions-nous nous faire signe en août par courriel ?