« Je sais bien que ce sont les événements de Jeanne, pas les miens. Je n’ai ni tout su, ni tout compris. Mais je doute que ce soit là l’explication : mes événements à moi se déplacent aussi. Ou plutôt, ils sont sans place : images toutes vives, conservées, éternelles. Et parfois je me demande si la mémoire n’a pas raison contre nous. Tout n’est-il pas, au vrai, éternel, donc contemporain ? Ces séquences chronologiques nous aident à comprendre, parce que nous avons l’esprit ainsi fait ; mais le désordre de notre mémoire nous aide, lui, à deviner ce que peut être une survie où le temps se trouve aboli et où tout se rejoint, sans début ni fin. »
Jacqueline de Romilly, Jeanne
Frédéric Leighton (1830-1896), Mnemosyne, la mère des Muses
Commentaires
..où tout se rejoint sans début ni fin.
Superbe extrait.
J'ai relu plusieurs fois ton billet sur Jeanne, il remue tant de souvenirs et de pensées sur ma grand-mère, ma mère, ma fille, la relation entre nous toutes. C'est vrai, les souvenirs se mélangent, et c'est fort bien ainsi.
L'illustration est magnifique aussi.
Belle semaine amie.
"La mémoire a raison contre nous (=notre condition humaine) et son désordre nous aide à deviner ce que peut être une survie"... "peut-être" à survivre ??
Voilà un livre sur les mères et les filles qui me tente beaucoup !
@ Colo : Une mère et une fille très proches, quelle merveille, quand d'autres se heurtent constamment - le mystère des relations entre les êtres. Heureuse que tu aimes aussi cet extrait sur la mémoire.
@ MH : Laissez-vous tenter, MH !
"Tout n’est-il pas, au vrai, éternel, donc contemporain ?" oui, il y a de cela pour moi.
En fait le passé n'est pas forcément derrière et le futur devant. Ou seulement en apparence. Nous faisons partie d'une société qui a choisi de vivre dans un temps "historique" mais nos ancêtres plus lointains vivaient eux dans un temps "mythique" dans lequel les prédécesseresses (les mères originelles) trônaient sous forme de figurines au milieu de la maison. Je me sens moi aussi comme un chaînon reliant mon arrière grand-mère à ma petite-fille. Or une chaîne n'a ni commencement ni fin.
@ Euterpe : J'ignore tout de ces figurines, peut-être relayées aujourd'hui par les objets que certaines familles se transmettent de génération en génération. (N'ayant pas d'enfant, j'espère tout de même jouer un rôle dans cette ronde du temps.)
A la fin de sa vie , Jacqueline de Romilly écrivait :
« Avoir été juive sous l'Occupation, finir seule, presque aveugle, sans enfants et sans famille, est-ce vraiment sensationnel ? Mais ma vie de professeur a été, d'un bout à l'autre, celle que je souhaitais. »
Les honneurs , les prix ,les caméras , l'académie ne remplaceront jamais la tendresse et le désintéressement d'une mère .
Enseigner par contre c'est aussi un peu "élever" des enfants c'est à dire transmettre , sans attente de retour , passionnément ,honnêtement ,remémorer , comprendre notre monde à travers celui de nos aïeux .
C'est en cela que la mémoire est universelle ,qu'elle peut faire des bonds dans le temps , dans l'espace surtout de nos jours où internet nous permet en un quart de seconde d'aller chercher ce qui nous fait défaut .
Jeanne me rappelle ma mère , modeste ,élégante , désintéressée , dévouée , intelligente , aimante avec toujours dans les yeux cette joie immense de donner .
La seule façon que j'ai trouvée de lui rendre hommage c'est d'essayer de transmettre ce qu'elle nous a appris .
@ Gérard : Merci pour ce bel extrait, Gérard, et pour l'éloge de la transmission qui m'est si chère.
Ben oui, c'est évident, il ne faut pas être mère pour transmettre... et parfois mieux transmettre car les connections sont neutres ;-)
@ MH : La transmission n'est jamais neutre, mais entre mère et fille... Je vois ce que vous voulez dire ;-)