« Jadis, à son retour d’Afrique, elle avait écrit un conte gothique, « Le poète ». Un homme d’influence, le conseiller Mathiesen, s’emparait de l’existence d’un jeune poète et la mettait en cage afin qu’il devienne le grand artiste que ses dons le destinaient à être. Voilà que, vingt ans plus tard, un jeune poète extrêmement doué, un véritable stradivarius, croisait son chemin. Tel le Mathiesen de son conte, Karen était décidée à extraire toute la richesse de l’instrument que le sort plaçait entre ses mains.
Son conte s’achevait en tragédie, elle écrivit pourtant avec chaleur :
« Cher Thorkild Bjørnvig,
Votre lettre m’a apporté une grande joie. C’est si bon de savoir qu’il existe une personne en qui je puisse placer ma confiance comme je l’ai fait en Farah. Par conséquent, j’étendrai sur vous mon manteau comme Elijah le fit sur Elisha en présage qu’un jour les trois quarts de mon esprit reposeront en vous. »
C’était un matin de neige de janvier 1950. Le premier matin d’un pacte impossible à briser. »
Dominique de Saint Pern, Baronne Blixen
Commentaires
ses "contes gothiques" sont dans ma pal - je les sortirai un jour, c'est certain, mais pour l'instant je suis "coincée" dans deux romans que je veux terminer avant d'entamer autre chose ;)
Il semblerait que le mélange de deux genres indispose certains … Ne serait-ce pas une façon originale d’écrire en serrant de près la fiction avec la réalité … Il ne faut pas oublier que cette écrivaine a frôlé deux fois le prix Nobel …
Cette histoire me fait penser au « maître de musique » de Gérard Corbiau qui avait lui aussi « mis en cage » un jeune artiste à la voix superbe pour en faire une vedette avec la différence que là le « maître » transpose son ambition sur un autre particulièrement génial … Mais l’intention et le fond restent, semble-t-il, les mêmes
des contes gothiques, voilà un genre que je n'ai pas encore beaucoup exploré :-)
Tes deux billets m'ont donné envie de découvrir enfin, cette grande romancière.
Merci pour le choix de cette magnifique citation !
@ Niki : Ces contes sont dans ma bibliothèque, à relire vu mes souvenirs trop lointains. Se décoincer d'abord, bien sûr, des romans pièges ?
@ Doulidelle : Oui, ce rapprochement avec "Le maître de musique" est pertinent. Ce qui m'a fort intriguée ici, c'est la possessivité dont fait preuve Karen Blixen à l'égard de son protégé jusqu'à s'immiscer dans sa vie privée (ce à quoi le poète consent jusqu'à un certain point, il faudrait que je lise ses mémoires si elles sont traduites).
@ Adrienne : Une plongée dans un XIXe siècle romanesque et merveilleux avec Isak Dinesen en vue ?
@ Fifi : J'en suis ravie, Fifi. Bonne lecture !