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Lire les classiques

Pourquoi lire les classiques ? La question semble a priori scolaire, mais La Grande Librairie du 12 mars dernier lui a consacré un débat si fertile que j’ai envie d’y revenir. Dans le cadre du Salon du Livre, François Busnel avait prié ses invités d’apporter leurs classiques préférés – dont la lecture est, selon eux,  indispensable –
et aussi ceux qui n’ont pas de place dans leur bibliothèque idéale. Débat assuré, ambiance joyeuse et insolente. Les écrivains présents ont joué le jeu à fond.

Songeant à la belle définition d’Italo Calvino, « Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire », j’ai repris Pourquoi lire les classiques (1993), un volume d’essais et d’articles de l’écrivain italien sur « ses » classiques, où il propose cette définition (la sixième sur quatorze). Mais « Si l’étincelle ne jaillit pas, rien à faire : on ne lit pas les classiques par devoir ou par respect, mais seulement par amour. Du moins hors de l’école (…). L’école est tenue de nous donner des instruments pour opérer un choix ; mais les choix qui comptent sont ceux qui se font après et en dehors d’elle. »

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Philippe Besson, en ouverture, a réjoui tous les proustiens en choisissant A la recherche du temps perdu – et contrarié ceux qui ne s’y sont jamais sentis chez eux. A ces derniers, moi qui emporterais la Recherche sur une île si je ne pouvais y emporter qu’un seul livre, je conseille deux entrées qui pourraient faire jaillir l’étincelle : Un amour de Swann, que Proust lui-même considérait comme le récit le plus accessible et comme une « maquette » de l’œuvre entière, ou Comment Proust peut changer votre vie (1997), le réjouissant essai d’Alain de Botton. Dessins à l’appui, il explique comment aimer la vie aujourd’hui, prendre son temps, exprimer ses émotions, être un véritable ami, et ainsi de suite, en puisant dans la Recherche les situations et les passages les plus parlants – c’est souvent drôle.

Amélie Nothomb a soulevé ma curiosité pour Eloge de l’ombre de Tanizaki, un essai sur la spécificité japonaise. Son interprétation de L’homme et son chien, un poème de Maurice Carême, son anti-classique, est désopilante. L’éloge du Cahier d’un retour au pays natal de Césaire par Alain Mabanckou a pris vie dans une lecture vibrante. Roman trop « fabriqué », Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier lui semble trop faible pour figurer parmi les plus grands.

C’était bien sûr intéressant d’entendre l’un défendre ce qu’un autre avait rejeté, et vice-versa. Ainsi pour Voyage au bout de la nuit de Céline, très discuté, ou pour Sade. Plusieurs fois, il est apparu qu’un classique qui avait plu au premier abord, relu plus tard, avait perdu de son charme, ou l’inverse. Retour à Calvino : « C’est pourquoi l’on devrait consacrer, à l’âge adulte, un temps à la redécouverte des plus importantes lectures de sa jeunesse. Car, si les livres ne changent pas (mais en réalité ils changent à la lumière d’une perspective historique différente), nous-mêmes avons changé, et nos retrouvailles avec eux sont des événements nouveaux. »

Rousseau a passé un mauvais quart d’heure, aussi bien pour ses Confessions que pour La nouvelle Héloïse, de même que Joyce avec Ulysse. Régis Jauffret, dégoûté par La mare au diable, a joliment plaidé pour Histoire de ma vie, l’autobiographie de George Sand. Quant à Flaubert, il a emporté la palme avec Douglas Kennedy, admirateur inconditionnel de Madame Bovary – j’ai noté la version américaine, selon lui, de ce roman : La fenêtre panoramique de Richard Yates, qui a inspiré au cinéma Les noces rebelles.

On ne parle plus de La princesse de Clèves aujourd’hui en France sans se moquer
du président actuel qui a eu le mauvais goût de critiquer la lecture obligatoire de cette œuvre au concours d’attaché d’administration. Madame de La Fayette a-t-elle suscité pour autant de nouveaux adeptes ? En tout cas pas Charles Dantzig, réputé pour son Dictionnaire égoïste de la littérature française. En revanche, il adore Gatsby le Magnifique de Fitzgerald, dont la construction imparfaite est justement le propre de l’art, jamais convenu. « La lecture d’un classique doit toujours nous réserver quelque surprise par rapport à l’image que nous en avions », écrit Calvino.

Commentaires

  • N'est pas Jauffret qui veut. La preuve, je plaide joliment pour "Histoire de ma vie", l'autobiographie de Casanova...

  • merci pour votre analyse pertinente de l 'émission consacrée à la bibliothèque idéale de certains auteurs présents.
    Pour ma part je salue le bon choix de Philippe Besson " A la Recherche du temps perdu" qui marqua une rupture importante dans la littérature française par sa conception nouvelle du roman.
    Vous avez raison qu 'on doit relire les grands classiques lus dans sa jeunesse
    j ' ai relu " Les Misérables " de Victor Hugo et le plaisir reste intact.
    Aussi relisons Flaubert , Camus, Zola , Stendhal , Balzac avec un autre regard
    que celui de notre enfance et jeunesse.

  • Je n'ai pas vu cette émission là, je prends note des conseils sur Proust, que je ne désespère pas de lire un jour.

  • J'ai vu l'émission et j'avais noté les choix mais j'avais déjà un peu parlé de la question du choix des livres incontournables. J'ai relu madame Bovary et m'y suis ennuyée. En revanche j'ai mieux apprécié L'éducation sentimentale. Pour la recherche j'ai toujours du mal. La langue de Proust est admirable mais je ne parviens pas à me sentir bien dans son univers.
    Vous êtes au nombre de mes élus du vent des blogs. Merci pour ce compte-rendu sensible.

  • Comme toi, j'avais noté avec curiosité "Eloge de l'ombre" cité par Amélie Nothomb...tu l'as sans doute lu depuis...non?
    Merci pour cette belle chronique d'une émission qui m'avait intéressée tant par les discussions entre les invités que par les écrivains-invités eux-mêmes. Je ne connaissais ni Régis Jauffret, ni Philippe Besson, à peine certains autres. Toujours le (mon) problème de lire et de me tenir au courant, de loin, et en plusieurs langues.

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