« Les matins d’automne, la vallée se couvre de fleurs vert foncé, minuscules comme des gouttes de rosée. Ce sont sans doute les plus éphémères des fleurs. Elles ne vivent que quelques heures. Vers sept heures ou sept heures et demie, le soleil d’automne sèche les herbes, les boutons commencent à s’ouvrir. Vers huit heures, les fleurs s’épanouissent, elles vivent quelques instants la plénitude de leur extraordinaire beauté. Elles fleurissent en grappes, dansent comme des milliers et des milliers de gouttelettes vertes sur les feuillages épais, d’une blancheur de marbre, illuminés par des reflets d’argent velouté. Vers dix heures ou dix heures et demie, les pétales graciles se fanent, se fripent, s’enroulent. A midi juste, les cinq pétales froissés, ratatinés, se tassent en un point noir. Aucun peintre n’a encore réussi à rendre le vert étrange de cette fleur, aucun poète n’a encore su décrire sa beauté chimérique. »
Duong Thu Huong, Terre des oublis (traduit du vietnamien par Phan Huy Duong)
Commentaires
Cet extrait me donne envie de découvrir cet auteur ! Merci pour se partage !
Je ne suis pas encore éveillée... et cela m'apprendra à ne pas relire avant de cliquer sur "envoyer" ! Il faut évidemment lire "merci pour ce partage", cela va mieux ainsi ! :-)
Quel beau texte sur la plus éphémère des fleurs … ! Quelques lignes nous entraînent à participer pendant peu de temps « à la plénitude de leur extraordinaire beauté » et puis « les pétales graciles se fanent, se fripent, s’enroulent … » Ces fleurs qui ne vivent que « l’espace d’un matin » comme disait Ronsard … Et quelle symbolique aussi de la précarité de ces populations !
Je me souviens de ce passage et le livre n'en manque pas d'aussi beaux et poétiques.
@ Naline : pour une raison qui m'échappe, je n'arrive pas à envoyer un commentaire sur votre blog où je vois de belles choses, à lire et à voir, j'y retournerai.
@ Doulidelle : comme toi, j'ai pensé aux roses de Ronsard en lisant ce beau passage, et aux volubilis dont j'avais prélevé quelques graines l'an dernier, qui poussent vaillamment leurs trompettes bleues, l'une après l'autre, à l'assaut de mon jardin suspendu.
@ Aifelle : oui, c'est un roman qui marque la mémoire, sans doute aussi à cause de son tempo particulier, qui met le lecteur en immersion.
ça c'est de l'écriture ! Merci pour cette découverte :)
Magnifique passage. L'éphémère minuté,la couleur insaisissable, la tenace fragilité.
Les fleurs d'hibiscus, ici, s'ouvrent le matin et le soir sont fanées. Pas les roses...
Vert étrange, vertige...
@ Colo : pas les roses ... Vous avez bien raison, les roses vivent au moins une huitaine de jours (j’en ai dans mon jardin). Elles étaient sans doute plus « éphémères » du temps de Ronsard qui a vécu au seizième siècle, quand elles étaient plus proche de l’églantier (son porte-greffe) qui avaient cinq pétales qui tombaient rapidement.
@ Blue Jam : merci pour le commentaire, bien des choses à lire aussi sous votre lampe.
@ Colo : oui, "la tenace fragilité" des êtres vivants.
@ JEA : le vert végétal si habituel, et pourtant la couleur de l'étrange, étrange.
Tania, j'aime bien ce principe de faire suivre votre propre lecture d'un extrait de l'ouvrage . Quelle lectrice amoureuse vous faites et quel rythme, je suis très impressionnée. Merci de la délicatesse de votre restitution.
@ Zoë : merci, merci... Lire est une joie, partager ses lectures une fête, et je suis ravie de voir le buffet apprécié par la reine des palabres.